La Compagnie Colokolo des Arts de la Rue était à nouveau en France pour la création de son troisième spectacle, Le Facteur, au Plus Petit Cirque du Monde à Bagneux du 8 au 12 janvier 2018. Ce collectif de circassiens pluridisciplinaires, basé à Casablanca, milite pour la reconnaissance de leur art au Maroc. Rencontre avec Yassine Elihtirassi, administrateur et membre du collectif.
Pouvez-vous nous parler de l’histoire de votre collectif ?
Cette compagnie a été fondée en 2007 à Essaouira à l’initiative d’un couple de Français, qui avait pour objectif de créer une association faisant la promotion des arts de la rue et des arts du cirque. Les fondateurs se sont ensuite rendus à Mohammedia où ils ont rencontré en 2009 des étudiants de l’école de cirque de Shems’y qui font toujours partie du collectif presque dix ans après. Fin 2013, la structure juridique s’est constituée et à partir de là nous avons commencé à faire nos premières créations. Notre premier spectacle Qahwa Noss Noss a réuni tous les artistes présents dans ColoKolo. Nous nous produisions devant des cafés ou sur des places publiques durant nos voyages et c’est comme cela que nous avons eu l’idée de travailler sur les cafés Marocains. Pour notre deuxième création, Derby, nous souhaitions parler d’une thématique populaire et nous nous sommes inspirés de la culture du football à Casablanca.
Comment est née la pièce Le Facteur?
Ce projet a débuté en 2014, sous l’impulsion de deux membres du collectif (Mohammed Ammar et Hassan Bouchontouf) qui avaient envie de travailler autour d’un duo de mât chinois. En échangeant, nous avons imaginé un numéro parlant d’un facteur et d’une personne dans l’attente d’un courrier. Par la suite, nous est venue l’envie de développer cette thématique et d’en faire un spectacle. Nous avons pris le temps de travailler ce concept, de faire des essais et c’est en 2017 que nous avons commencé à rentrer en résidence pour cette création. Nous sommes une équipe réduite, seul quatre circassiens du collectif sont présents, avec un musicien au plateau qui joue en live. Les disciplines de cette pièce sont nombreuses : jonglage, bascule, mât chinois, manipulation d’objet, mime et théâtre. Nous travaillons aussi avec le regard extérieur de deux artistes : Sylvain Décure et Melinda Mouslim, qui nous accompagnent dans le processus de création, en partenariat avec le Plus Petit Cirque du Monde à Bagneux dans le cadre de leur programme Premiers Pas jusqu’en octobre 2018. L’objectif étant un accompagnement complet et sur le long terme, de la création à la diffusion, avec un soutien sur la production et l’administration.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette thématique ?
Nous avons tous eu un regard nostalgique sur ce personnage. Actuellement nous ne recevons plus de lettres ou de cartes postales comme nous en recevions avant. Il y avait tout ce système d’attente que l’on a perdu. Auparavant nous prenions le temps de rédiger, d’envoyer et nous guettions impatiemment une réponse. La temporalité est aujourd’hui complètement différente.
Nous avons souhaité aborder l’évolution des moyens de communication et leurs impacts sur notre quotidien.
Lorsque nous envoyons des mails, des sms, nous utilisons des formules efficaces, directes et pauvres d’un point de vue émotionnel. La démarche lors de l’écriture d’une lettre est différente, on pense à la formulation. Il y a donc la question de l’instantanéité et des communications actuelles.
Dans vos anciennes créations : Derby et Quahwa Noss Noss, l’identité marocaine était très présente. Trouvez-vous que Le Facteur reflète tout autant cette identité-là?
Dans tous nos spectacles la trace de l’identité du spectacle vivant Marocain est très présente, mais nos thématiques sont universelles. Nous avons aussi voulu inclure des éléments de la culture marocaine et nous pensons que Le Facteur reflète une évolution dans notre travail en y apportant d’autres esthétiques. Nous confrontons le sujet de cette pièce aux deux pays, la France et le Maroc. Sylvain Décure et Melinda Mouslim nous apportent leur vision en parallèle à la nôtre, ce qui provoque une fusion commune.
Cette création est assez différente des autres, on y trouve de inspirations de danse contemporaine, de la musique live … Pouvez-vous nous parler de votre méthode de travail et de comment avez-vous inclus tous ces éléments ?
Tout d’abord, un travail de recherche a été effectué en amont, nous renseignant sur les œuvres artistiques ayant déjà abordé cette thématique afin d’avoir un aperçu de ce qui avait été fait précédemment. Après, nous avons fait part de nos souhaits à Sylvain Décure et Mélina Mouslim avec qui nous avons fait toute l’écriture scénique du spectacle. Nous avons travaillé ensemble sur des bases d’improvisations ; pour donner un exemple, la première fut « L’attente ». De ces improvisations, nous gardions des passages que l’on retravaillait et que l’on incluait par la suite dans la création.
Vous faites beaucoup d’ateliers avec les scolaires au Maroc. En quoi cela est-il important pour vous ?
C’est notre principale activité au Maroc. Nous travaillons en partenariat avec l’ACSM à Casablanca avec qui nous menons des ateliers dans les classes primaires. A travers eux, nous essayons de promouvoir les arts du cirque. Au-delà de l’aspect pédagogique, nous souhaitons sensibiliser le public de demain. Nous invitons les écoles dans lesquelles nous intervenons lors de nos représentations, afin d’avoir d’autres lieux de rencontres que le cadre scolaire, et leur faire découvrir ainsi l’espace scénique.
Vous avez organisé le festival Cirque et arts de la rue Fwt’Art à Casablanca, pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
Nous avons occupé, à partir 2013, les anciens abattoirs de la ville de Casablanca avec plusieurs collectifs d’artistes. Nous sommes arrivés avec un chapiteau et nous avions une convention avec l’association Casamémoire et Racines. Cette dernière milite pour le développement culturel au Maroc et en Afrique. La première édition de Fwt’Art, festival de rencontre Cirque et Arts de la rue, eu lieu l’année de notre arrivée en 2013. Depuis, nous avons organisé quatre éditions.
L’objectif était de réunir divers artistes de cirque et de créer une plateforme pour montrer notre travail et en même temps défendre l’accessibilité à l’espace public.
Ainsi, le festival nous a permis de sensibiliser un public novice, car les créations se jouaient principalement dans la rue au milieu des passants. Les spectacles étaient gratuits, ce qui nous permettait d’éviter de trop grosses contraintes organisationnelles et d’avoir ainsi une bonne visibilité.
La première semaine, des ateliers étaient menés avec les habitants du quartier. La deuxième, nous organisions des cartes blanches, et c’est pendant celle-ci que nous répétions. Lors de la troisième semaine, se déroulaient trois jours de représentations dans l’espace public et le dernier jour dans les anciens abattoirs. Nous avons réussi à augmenter la fréquentation, mais malheureusement en 2016 les conventions d’occupation du lieu n’ont pas été reconduites par la ville de Casablanca ; les artistes ont donc été expulsés du lieu. Cela a mis fin au festival et l’édition 2017 n’a pas pu se tenir.
Actuellement nous envisageons de délocaliser l’évènement et ainsi repenser l’organisation en cherchant de nouveaux partenaires. Nous espérons pouvoir faire la prochaine édition pour l’année 2018.
Comment voyez-vous l’avenir du cirque au Maroc ?
Nous observons l’émergence de compagnies de cirque marocaines qui commencent à être diffusées. Cependant nous sommes aux prémices de cet art car l’école nationale de cirque de Shems’y a moins de dix ans, ce qui est très récent.
Les artistes ont par contre besoin d’un accompagnement plus important. Leur formation est assurée mais pas celle du personnel non artistique, qui va avoir en charge la gestion d’une compagnie (production, administration…). Il manque aussi des lieux de diffusion et de résidence. Pour l’instant il y a l’école nationale de cirque de Shems’y et certains théâtres qui répondent aux conditions, mais c’est très restreint. Ces problématiques vont ainsi définir l’avenir du cirque au Maroc, car si cela n’évolue pas, tous les artistes formés risquent de s’orienter vers des compagnies étrangères.