Imane Djamil, La voyageuse au carnet de bord

Du haut de ses 19 ans, Imane Djamil impressionne par sa lucidité et son recul sur les expériences qu’elle a déjà traversé. Après Zakaria Wakrim, Imane est la deuxième membre du collectif Soora que nous rencontrons à Casablanca. C’est dans l’espace culturel l’Uzine à Ain Sebaa que nous partageons avec elle une discussion animée.

Casablanca, la géante balafrée

Depuis sa tendre enfance, Imane affectionne l’écriture. Elle commence par tenir un blog où elle raconte son quotidien puis se dote d’un vrai appareil photo à 14 ans et se lance dans un voyage, objectif sous le bras. Imane explore d’abord Casablanca, dans ses moindres recoins. Avec sa première série « Printemps Barbares », Imane s’intéresse à l’ambiguïté du terme « barbare », qui a une connotation négative aujourd’hui, alors même qu’il désigne étymologiquement « l’étranger » au sens large. Printemps barbares, c’est « la jeunesse telle qu’elle se voit et telle qu’elle est vue ». C’est une jeunesse dont les normes sont incomprises et mal interprétées. Pour la réaliser, Imane s’est, par exemple, aventurée dans une forêt avec une de ses amies, avant que le garde forestier ne lui interdise de prendre des photos qu’il jugeait être pornographiques (ou au mieux « hchouma »), jugez en vous-même :

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Pour Imane, Casablanca est une sorte de prostituée, pénétrée par une jeunesse ivre de réussite. Mais cette géante balafrée qui fait peur est aussi très vulnérable. Son rapport à cette ville où elle a grandi est à la fois touchant et distant.

Imane Djamil © Mehdi Drissi / Onorientour

Imane Djamil © Mehdi Drissi / Onorientour

Une voyageuse téméraire

Avide de nouvelles découvertes, la curiosité de la jeune fille la mène ensuite au Sud où elle explorera seule toute la région qui va de Tan Tan à la Mauritanie. Voyager seule au Maroc aura été pour elle une expérience paisible, encore un autre paradoxe qui tranche avec la pensée dominante. « Il y a plus de gens qui te veulent du bien que de gens qui te veulent du mal », lance-t-elle.

© Imane Djamil

© Imane Djamil

Lors de son périple dans le Sud, Imane a alors un réel coup de foudre pour Terfaya, ville dans laquelle trône une ancienne forteresse héritée de la colonisation espagnole, au milieu des océans et des dunes.

« Ce qui te fait vivre, c’est aussi ce qui te tues. »

Les vagues écumantes, qui se brisent sur les flancs de la bâtisse et la rongent un peu plus chaque jour, sont aussi celles qui font cicatriser cette plaie historique, symbole du colonialisme anglais et espagnol. Cette phrase incarne également sa relation à l’appareil, qui lui a fait vivre des moments intenses, suspendus entre vie et mort, comme la fois où elle a tenté de capturer une photo avant que la voiture dans laquelle elle était soit sur le point de se retourner.

Imane Djamil © Mehdi Drissi / Onorientour

Imane Djamil © Mehdi Drissi / Onorientour

De poésie, de voyage et d’amour

Suivant son instinct qui la porte sur des sentiers inexplorés, Imane écrit, photographie puis recolle les morceaux de ce puzzle d’émotions après coup. Imane préfère donc laisser sa subjectivité s’exprimer et la décoder par la suite au lieu d’imposer une vision. Ses dernières pulsions lui ont récemment fait parcourir un tout nouveau chemin : l’Europe de l’Est. De cette expérience, la jeune fille garde le souvenir ardent de Sarajevo et un vers perse qui la hante lascivement « Là où s’harmonisent le pin, la frayeur et moi-même ».
Jusqu’ici, Imane travaille essentiellement des textes et des photos mais elle conçoit les deux de manière indépendante. « La photo est fondée sur un espace/temps/sujet réel mais qui devient support pour le mythe et la fabulation ». Quant à l’écrit, la jeune fille s’en sert pour exprimer ce qu’elle n’arrive pas à faire passer par le biais photographique.

Avec cette nouvelle expérience, Imane ne veut plus s’arrêter aux photos et aux textes mais travailler sur l’appareil en tant qu’« objet carnet de bord » et en faire un vrai champ magnétique. Après s’être essayée au numérique et à l’argentique, Imane a maintenant adopté le second et ne peut se défaire de cette relation fusionnelle qu’elle entretient avec son appareil.

Pour ses projets futurs, Imane nous parle de sa recherche de résidence et de son amour fougueux pour la poésie persane. Esthète et affamée de sensations, Imane est une photographe et poétesse prometteuse que nous avons hâte de suivre à notre tour.

Imane Djamil © Mehdi Drissi / Onorientour

Imane Djamil © Mehdi Drissi / Onorientour

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