La société marocaine racontée par ses artistes contemporains

Affiche de l'exposition Arts d’identités. Crédit : Azemmour, Hicham Benohoud

Alors qu’on finit d’installer les cimaises du Maroc Médiéval au Louvre, que l’Institut du monde arabe se règle a l’heure du Maroc Contemporain, l’Institut des cultures d’islam (ICI), présente une exposition d’artistes contemporains intitulée Arts d’identités. Visite guidée.

D’abord perturbés par ce titre que nous jugions rapidement ostracisant, nous décidons de nous rendre au vernissage qui s’est tenu jeudi dernier dans cet institut assez particulier du paysage culturel français. Situés dans le quartier de la Goutte d’Or, les deux bâtiments de l’ICI accueillent des évènements culturels tout au long de l’année. Le site de la rue Stephenson a la particularité d’abriter au premier étage une salle de prière dédiée aux fidèles musulmans qui viennent côtoyer les mêmes lieux où sont exposés, au gré des manifestations, plusieurs oeuvres et où se produisent différents artistes.

« Des arts d’identités, mis au pluriel volontairement, nient et rejettent toute nationalisation pour revendiquer et parler un langage œcuménique« , nous explique Jamel Oubechou, président de l’ICI. Propos confirmées par les créations livrées au public. Qu’il s’agisse des séries photographiques saisissantes de Khalil Nemmaoui, des installations dégageant une sensibilité extrême de Jamila Lamrani ou encore de l’armure pour le moins fracassante de Simohamed Fettaka, toutes les créations attestaient de l’effervescence et des caractères purement actuels et universels de la création marocaine.

L’exposition commence par la série La maison de l’arbre de Khalil Nemmaoui. Une composition photographique qui interpelle. L’artiste flânant dans un Maroc rural qu’il offre à voir différemment, part à la capture de paysages mêlant le bâti au végétal, juxtaposant la construction et le naturel et liant l’urbain au rural. Des éléments qui se complètent les uns les autres et trouvent leur place dans cette vaste étendue champêtre.

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Sans Titre #11, La maison de l’arbre de Khalil Nemmaoui. Crédit : Galerie 127

Adepte des plans larges, Khalil présente plus loin la série Casa khaouia, des portraits de la grande ville à l’heure de la rupture du jeûne du ramadan. Casablanca la tumultueuse change alors de visage et se drape d’un silence encore inconnu. En l’espace de quelques minutes, elle reposera le spectateur de son agitation habituelle, mais l’effrayera par sa vacuité. Ces deux séries interrogeraient ainsi notre rapport à l’espace. Cet espace habité qu’on tend à apprivoiser et qui finit par nous prendre de court quand il change d’air. Ou n’est-ce pas plutôt des aspects préexistants que le photographe nous mène à considérer ? Ce nouvel angle emprunté nous aura certainement permis de penser ces lieux autrement.

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Sans titre #4, Casa khaouia de Khalil Nemmaoui. Crédit : Galerie 127

L’exposition se poursuit pour découvrir des photographies qui suscitent  cette fois l’exclamation et l’ironie. Ânes situ est ainsi la série du plasticien Hicham Benhoud qui invite des ânes dans des demeures de nantis. Lui qui travaillait plutôt sur des portraits de personnes ou sur ses auto-portraits s’est plu dans cet exercice de direction de l’animal. Enfin, de direction assistée puisque bien qu’il soit docile, l’âne n’acceptait que les ordres de son maître et l’artiste se devait donc d’employer à la journée la bête et son maître. Cette anecdote qu’il nous raconta avec tant d’humour peut être visualisée sur une vidéo projetée à l’institut et qui retrace les coulisses de la réalisation des photos.

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Extrait de la série Ânes situ de Hicham Benohoud. Crédit : hichambenohoud.com

Dans la continuité de son travail sur le corps et sur l’environnement, la série Azemmour, qui a été initialement commandée par un homme d’Etat, vient basculer les attentes. Alors que le passeur de la commande escomptait de jolies clichés de la ville à publier dans un livre d’art, l’artiste refuse de se livrer à la production de photos cartes-postales et expose une vision touchante des enfants de la ville d’Azemmour. Une réalité dérangeante s’exprime dans le regard troublant, les traits délicats et les postures assumées de cette enfance qui donne l’impression de souffrir en silence.

Extrait de la série Azzemour de Hicham Benohoud. Crédit : hichambenohoud.com

Extrait de la série Azzemour de Hicham Benohoud. Crédit : hichambenohoud.com

Des photos en noir et blanc, nous avançons pour découvrir l’univers sphérique et hautement spirituel de Younès Rahmoun. Des atomes tantôt dessinés au crayon, tantôt photographiés de l’intérieur d’un cube métaphorisent le monde et sa naissance. De loin, le minimalisme de l’oeuvre nous frappe et de près, ces mêmes petites boules d’éléments microscopiques présentent un niveau de détail et une finesse considérables. Cette série d’atomes flottantes a été imaginée par l’artiste depuis sa chambre sous les escaliers de chez ses parents. Toute darra (atome) lui permettait ainsi de s’évader au-delà de la ghorfa (chambre) où elle a été conçue.

Cette élévation est également possible par d’autres moyens. Younès la retrouve aussi dans l’expression de sa foi à travers ses installations artistiques. Multipliant les supports (rosaces, cylindres, anneaux), le plasticien reproduit les 77 branches de la foi musulmane et part à la rencontre du divin à travers la matière. Il dépasse donc le palpable pour accéder au céleste et le célèbre par le biais d’œuvres projetant parfois une lumière douce ou utilisant des couleurs translucides.

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Darra-Dahab (Atome-Or) de Younès Rahmoun. Crédit : Galerie Imane Farès

Cette douceur caractérise par ailleurs les installations de Jamila Lamrani, qui apporte une attention très particulière aux matières. Résultat : des œuvres avec une dimension lyrique qui s’inscrivent admirablement dans une démarche expérimentale. Dans une petite pièce aménagée où sont ancrées des vitres remplies de ouate accueillant moult petites choses, l’artiste invite à ambuler et sensibilise à la fragilité de ce qui nous entoure. A l’étage du dessus, Jamila sera plus engagée et s’appropriera cette fois le son pour réaliser l’installation Le peuple veut. Couleur et bruit de fond mélancoliques se fondent l’un dans l’autre et se confondent pour un témoignage poignant d’une volonté populaire qui souhaite écrire son histoire de son propre sang (usage du rouge) et de son encre (couleur noire). On n’a d’ailleurs pu qu’acquiescer lorsque l’on nous a fait remarquer que son usage et jeu subtil avec les fils rappelait les installations remarquables de Chiharu Shiota. Cela est d’autant plus frappant que quand la nippone recourt au monumental pour tisser des toiles autour de  robes, de lits et d’autres objets du quotidien à forte valeur symbolique, Jamila, elle, opte pour les miniatures et dégage une poésie inouïe à travers des sculptures frêles et délicates.

Dans Birdcages, ficelles, dentelles, perles et bouts de tissus se trouvent figés derrière des barreaux, décriant ainsi l’étouffement que peut subir ce prétendu deuxième sexe. L’artiste affirme manipuler avec aisance ces matériaux qui lui sont familiers et prêche qu’il ne s’agit là que de médiums choisis et changeants en fonction des projets lui permettant de donner forme à ses idées. Badr El Hammaoui viendra ensuite interroger la notion de clivage et de séparation entre les peuples. Il va même jusqu’à proposer une carte du monde en laine qui repense les liens entre les territoires et qui, vue d’en bas, confirme des origines communes sans considération de formes ou de limitation de l’espace. Sans titre jette la lumière sur l’auteur et fabricant de ces fractions, qui n’est peut-être finalement que ce monde lui même. Ainsi, l’entente est telle entre les deux artistes qu’ils nous soufflèrent envisager une future collaboration artistique.

A présent que nous avons rejoint le deuxième site de l’ICI à la rue Léon, Zobra, armure dressée dans la pièce d’entrée accueille le public. Elle qui a l’habitude d’arpenter les rues des villes pour aller à la rencontre les gens, est cette fois statique et nostalgique du corps de Simohamed Fettaka qui l’habite et l’anime d’habitude pour de fréquentes déambulations urbaines. De Paris à Marrakech, l’artiste promène son habit de protection métallique et traverse tout cadre spacio-temporel dans un anonymat absolu. Lui qui se protège de cette manière et réussit à voir sans être vu, suscite des réflexes différents chez les passants. Chaque intervention est en ce sens unique, puisqu’elle suggère une réflexion sur l’identité et observe des réactions pas toujours attendues. On peut d’ailleurs suivre le parcours emprunté par l’artiste pendant la 5ème biennale de Marrakech dans une vidéo projetée sur place et suivre aussi ses pas dans différents lieux parisiens à travers des photographies également exposées.

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Maroc, arts d’identités, c’est aussi six artistes qui exposent six visions distinctes de ce qui les entoure et les agite, pour vous permettre jusqu’au 21 décembre de découvrir le Maroc bouillonnant d’où ils sont natifs.

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