Depuis quelques années, nous sommes témoins de la disparition de personnalités qui ont marqué l’ère du modernisme culturel et de certaines histoires de l’art. Ce 8 août 2017, c’est la vie du photographe Hashem el Madani qui s’est éteinte. Contrairement à beaucoup de ses comparses libanais, son histoire et sa collection ont été merveilleusement préservées. Grâce à l’amitié qui le liait à Akram Zaatari et le travail artistique qu’il lui a consacré, la diffusion de son œuvre en France par François Cheval et aux efforts de la Fondation Arabe pour l’Image à Beyrouth, l’œuvre d’Hashem el Madani sera pour toujours éternelle.
Hashem el Madani et le Studio Shehrazade de Saïda
Figure tutélaire de la photographie de studio traditionnel, il fut l’un des premiers à avoir un 35 mm dans la ville de Saïda, au sud du Liban. Il clamait d’ailleurs qu’il aurait photographié quatre-vingt-dix pour-cent de la ville depuis les années 1940 jusqu’à aujourd’hui. Sa pratique artisanale était un moyen d’existence et il fut l’un des photographes les plus concurrentiels (10 centimes la photo) avec ses clichés de la classe ouvrière. On peut voir à travers ses portraits un éventail de représentations de la société et de la politique sud-libanaise sur une période de cinquante années. Hashem el Madani a constitué un travail presque exhaustif d’archive de sa ville en en récoltant les traces et en les exposant dans sa galerie monumentale de portraits.
D’après une réunion puis la diffusion de recherches conduites par Zeina Arida et Rima Mokaiesh de la Fondation Arabe pour l’Image, Hashem el Madani est né à Saïda en 1928 de parents Saoudiens. En 1947, il serait parti en Palestine pour chercher du travail et il en trouva finalement dans la ville d’Haïfa en tant qu’assistant du photographe juif immigré Katz. Un an plus tard, il retourna ensuite à Saïda avant les événements de 1948 (ceux de la Nakba) qui forçat de nombreux Palestiniens à fuir leur pays à cause de la colonisation israélienne. Dans sa ville d’origine, Hashem el Madani acheta son premier 35 mm pour 200 Livres Libanaises et entama ainsi un travail d’itinérance photographique. Il offrait de ce fait ses services aux commerçants et aux passants tout en rénovant en parallèle une partie de la maison de ses parents pour se faire un studio. En 1952, il eut assez d’argent pour s’acheter tout un équipement photographique et louer de surcroît un autre studio dans le même immeuble que le Cinéma Shehrazade de la rue Riad el Solh, cinéma dont il empruntera le nom pour baptiser son studio en 1953. Dès lors, sa carrière de photographe ne fit que grandir jusque dans les années 80. Son studio aux milliers de portraits a accueilli des centaines de libanais venus se faire tirer le portrait — venant commander autant des photos d’identité que des mises en scène complètement alambiquées qui vont progressivement caractériser sa démarche.
Présentation du travail de Hashem el Madani faite par François Cheval au Musée Nicéphore Niépce
Une reconnaissance internationale grâce à la Fondation Arabe pour l’Image
La constitution de la Fondation Arabe pour l’Image à Beyrouth en 1997 (organisation a but non lucratif) préserve et collectionne les images du Mashreq, du Maghreb, de la Péninsule Arabique et de la diaspora arabe, de la fin du XIXème siècle à nos jours. Fondée et animée par des personnalités très différentes (Fouad Elkoury, Samer Mohdad, Akram Zaatari, Zeina Arida, Rima Mokaiesh et aujourd’hui par Marc Mouarkesh), elle place sa collection au centre d’un dispositif, envisageant de construire un thesaurus plutôt que de labelliser des corpus. Elle expose fragmentairement l’existence quotidienne captée par une pratique artisanale de la photographie, bien que celle-ci ne soit pas dénuée d’intentions esthétiques. Officieusement, la fondation se fait connaître avec la parution d’un petit livre de photographie intitulé Histoires Intimes, et d’une exposition à l’Institut du Monde Arabe à la fin des années 1990. Présentés dans leur format d’origine, ces clichés de photographes amateurs ou professionnels, inconnus pour la plupart, tous libanais ou installés au Liban, héritiers de la génération des photographes de l’Empire Ottoman, sont des documents qui vont mettre en valeur les discours du siècle précédent et leur évolution. Peu après, le fer de lance de la Fondation fut le Projet Madani qui fut initié par l’artiste Akram Zaatari permettant de préserver tout en redécouvrant le travail de ce photographe de studio en lui conférant un discours historique.
Le Projet Madani
La plus grosse collection de la Fondation Arabe pour l’Image est celle du photographe de studio Hashem el Madani avec plus de 100 000 négatifs préservés et plus de 30 000 numérisés grâce à l’aide de la Prince Claus Fund. Une partie de la collection est d’ailleurs visible sur le site de la FAI. Toujours grâce aux recherches et à la préservation de la fondation, les archives d’el Madani couvrent les tribulations de la ville de Saïda pendant au moins un demi-siècle en retraçant les évolutions socio-politiques de son temps. C’est dans les années 1950 que sa production est la plus riche et que ses photos intègrent aussi bien des individus, des familles, des commerçants que des ouvriers de Saïda et révèlent leurs histoires. Les œuvres de ce corpus n’alimentent pas l’historicisme, mais désarment le mythe pour montrer les complexités de la nature, en amenant à une perception autonome et critique de l’événement. C’est dans cette dynamique que le projet Madani a été formulé, tout comme les différentes expositions pensées autour de son travail et qui ont permis de repenser l’histoire de la photographie arabe.
Photographies de l’ouvrage de Karl Bassil, Lisa Le Feuvre et Akram Zaatari (dir.), Hashem el Madani, Studio Practices [2004] éditions Mind the Gap/Fondation Arabe pour l’Image, 2007
Une œuvre pensée autour d’une vie – Akram Zaatari et les archives d’Hashem el Madani
Parmi les nombreuses apparitions des photos d’el Madani, nous retiendrons les deux éditions de la FAI qui accompagnèrent les expositions, toutes sous-titrées comme étant des projets en cours, sous le commissariat d’Akram Zaatari : Hashem el Madani: Studio Practices (co-produite par la FAI et la Photographers’ Gallery) en 2004, Hashem el Madani: Promenades (produite par la Caixa Foundation) en 2006 et la carte itinérante de Saïda pour Hashem el Madani: Itinerary (produite par la FAI avec le soutien de la Prince Claus Fund) en novembre 2007.
En effet, nous retrouvons différentes facettes d’Hashem el Madani grâce aux réutilisations de ses archives dans un des derniers travaux de Zaatari intitulé 28 Nights and a Poem (2015). Ce documentaire sera notamment projeté le 26 août aux États Généraux du Film Documentaire à Lussas en Ardèche, qui a décidé de consacrer son édition 2017 au documentaire libanais.
Bande annonce du film d’Akram Zaatari, 28 Nights and a Poem (2015) © Akram Zaatari
Akram Zaatari, François Cheval et les différents membres de la FAI ont été des figures de proue dans la diffusion du travail du photographe et nous ne les remercierons jamais assez pour ces démarches qui les ont animés. Que Hashem el Madani repose en paix et que ces archives aient de belles itinérances !