Comment définir un Français aux origines arabes, berbères ou maghrébines ? Un issu de l’immigration. Un terme très présent dans l’actualité française, mais caduque compte tenu de l’histoire de France. L’ouvrage La France Arabo-orientale, treize siècles de présences s’attache à rappeler la longue histoire presque occultée de l’Oriental en France.
Le livre est le fruit de multiples collaborations ; des chercheurs, historiens, journalistes ou acteurs culturels : Pascal Blanchard, Naïma Yahi, Yvan Gastaut, Benjamin Stora, Yasrine Mouaatarif, Rached Benzine ou encore Salah Amokrane. Il traite d’une certaine histoire de la France à travers des chapitres chrono-thématiques, riche d’une bibliographie de plus de 1200 ouvrages. Un livre qui se lit et se contemple, agrémenté de nombreuses images d’époque (photographies, gravures, presse, peintures, photogrammes, affiches…). Le choix a été fait de ne pas les légender pour laisser au lecteur une libre interprétation et analyse de l’iconographie.
Notre histoire est un paradoxe absolu, faite de domination, d’amour et de haine
Les auteurs retracent la longue histoire des populations arabo-orientales en France du VIIIe siècle à aujourd’hui, en passant par les dates fondatrices. Arabo-oriental, un terme flou, mais qui veut justement rassembler des populations venus de plus de 20 pays arabes, chrétiens, juifs, coptes, musulmans… Y compris des populations de l’est de l’Europe dans certains cas.
Sur la couverture, le mot France est délibérément grand, pour rappeler que cette histoire concerne tous les Français. Elle n’est pas propre à une communauté.
Une présence culturelle, militaire et politique
Au fil des pages, cette présence apparait multiple, dans divers domaines. « L’Orient est une fascination qui a touché l’armée, l’architecture, l’habit » commente Pascal Blanchard venu présenter le livre à la librairie Ombres Blanches de Toulouse, le 21 novembre.
Jusqu’aux années 1950, le caractère militaire était très important. Les combattants venaient se battre au nom de la France, notamment lors de la première guerre mondiale. « Un combattant qui va à la guerre arrive avec ses frères qui travaillent en ville. Il y a un métissage entre les hommes au front et à l’arrière, les femmes, qui commencent à travailler dans les usines, rencontrent pour la première fois les indigènes logés dans les villes« , raconte l’historien. Le musulman devient l’ami de la France contre le Boch et c’est « un acte fort que de mourir pour la France » ajoute Pascal Blanchard.
Au delà du caractère militaire, la diaspora voyage avec ses coutumes. La musique est très présente dans cet apport culturel. Le livre cite entre autres, l’exemple de Louisa Tounsia, chanteuse et musicienne de la diaspora juive tunisienne, une figure du music hall maghrébin du XXe siècle, qui dansait au cabaret Casbah à Paris. Elle a popularisé plusieurs titres en France. « Elle incarne la mauresque de l’imaginaire de son temps. Figure de la création en exil, sa représentation oscille entre la femme qui reflète son temps et le stéréotype plaqué de sens et de fascination« , nuance Naïma Yahi.
Mais cette histoire est aussi politique, même récente. L’histoire de la marche pour l’égalité et le racisme, dite marche des Beurs, le démontre, quand en 1983 des jeunes des quartiers populaires ont entrepris une longue marche de 1000 km suite à des agressions racistes et affrontements dans les banlieues de Lyon, Marseille… La France Arabo-orientale, treize siècles de présences ne manque pas de rappeler l’événement de cette action collective emblématique, qui fête cette année ses 30 ans. D’ailleurs, le film la Marche qui met en scène le mouvement sort en salles le 27 novembre.
Une histoire complexe et paradoxale
L’histoire des populations arabo-orientales est aussi celle de la France et du Maghreb, empreinte de rebondissements. Une « histoire intime » comme la décrit Salah Amokrane.
« Notre histoire est un paradoxe absolu, faite de domination, d’amour et de haine » relate Pascal Blanchard, avant d’ajouter « et la relation à cet Orient nous bâtit… La France domine puis donne des armes pour l’indépendance« . La relation de la France avec l’Emir Abdel Kader en est la parfaite illustration. Il combat pendant quinze ans les troupes françaises venus envahir l’Algérie, il est ensuite fait prisonnier en France, mais finit par devenir l’ami du pays, une figure qui impose le respect et même un franc-maçon, qui dans son exil en Syrie vient au secours des chrétiens.
Décrypter le présent
L’ouvrage tient à souligner cet héritage permanent ou temporaire des populations arabo-orientales en France. « Nous voulons donner une nouvelle photo de famille à l’histoire de France. Pour la comprendre aujourd’hui, il faut remonter l’histoire, jusqu’avant les croisades et essayer de comprendre quel rapport à l’autre entretient la France avec ‘l’Oriental », nous explique Pascal Blanchard.
Un ouvrage qui contribue au débat et met en perspective toute une réflexion, par rapport aux discours actuels alimentés de l’histoire de cette immigration en France. Elle est certes, faite de conflits, mais aussi de rencontres sociales, culturelles et intellectuelles, auxquelles il faut redonner sens.