A la frontière entre Mounira et garden city se dresse un café où des petites chaises en bois côtoient des chichas colorées. Un mélange éclectique de classes sociales se retrouve ici autour de cafés fumants, entre les échoppes de foul et tâamiya, et les vendeurs de ghazel l’banate, dénomination égyptienne de la barbe à papa.
Entre l’Egypte et la France
Dès les premières phrases échangées, on sent chez Hicham la parole facile et une existence caractérisée par un aller-retour incessant entre la France et l’Egypte. Enfant de cultures croisées, Hicham a grandi au bord de la plage d’Alexandrie et a baigné dans un univers de fête et de musique, en fréquentant les boites de la ville dès ses seize ans.
Depuis son plus jeune âge, Hicham écoute de tout et absorbe les ondes musicales là où elles se déposent. Du vieux Zorba italien à la samba en passant par Mohamad Kamal, aucun registre ne lui échappe et sa connaissance musicale accumulée lui vaut peu à peu d’être sollicité pour animer les soirées du lycée. Au fur et à mesure qu’il se frotte à l’exercice et que son répertoire s’enrichit, émerge chez lui un style propre, qu’il aime désigner d’ « électro tribal », un mélange entre house et percussions auquel il ne veut pas non plus se borner, en continuant à expérimenter d’autres mélanges.
D’Alexandrie à Poitiers
Après avoir obtenu son baccalauréat, Hicham s’embarque dans des études d’archéologie en France et travaille dans le tourisme pendant quelques années. Le jeune n’y trouve cependant pas la satisfaction qu’il recherche et travaille en tant que DJ résident, à Poitiers, pendant six ans.
« Les gens fantasment beaucoup sur la profession de DJ. Pourtant, être DJ résident n’est pas du tout une chose facile. Les gens qui sont là n’ont pas d’autre choix que de t’écouter donc ça apporte beaucoup d’humilité. » déclare Hicham en évoquant les réminiscences de ces années passées dans les entrailles de Poitiers.
En plus d’être formatrice d’un point de vue strictement technique, l’expérience de Hicham lui confère une connaissance aiguisée de la gestion de foule et lui fait entrevoir la possibilité d’utiliser la musique comme un outil pour la création d’une atmosphère spécifique.
A partir de ses multiples expériences de DJisme, avec un public divers en âges et en horizons, il développe peu à peu son style propre. Sur un fond house, il utilise beaucoup d’oriental dans les transitions et cherche à assouplir cette musique parfois « rêche pour la faire apprécier d’un public pas toujours familier de telles sonorités ».
Pour des raisons personnelles, Hicham revient ensuite en Egypte et délaisse sa passion pour quelques temps.
Retour aux sources
Cette trêve musicale ne dure pas longtemps, elle est même plutôt régénératrice et lui permet de décider de se donner à temps plein à ce qui le fait vibrer : la musique en tant qu’expérience collective.
C’est au Caire que Hicham fait ses premiers pas dans la vie nocturne égyptienne et nous confie ses premiers ressentis avec émotion :
« Grâce à ma formation technique en France, je suis devenu le portier de l’Egypte. Les gens me demandaient des conseils et je me faisais intermédiaire. Du coup, ça m’a remis dans l’engrenage. »
A partir de 2014, Hicham passe des soirées DJ aux programmations thématiques dans des lieux mythiques du Caire comme Vent ou encore le Shahrazad, qui a vu passer des icônes égyptiennes comme Ismail Yassine ou Samia Gamal. Hicham se fait alors un vrai nom sur la scène égyptienne et est, entre autres, invité à Oosthoora, festival de musique, d’arts et de cinéma organisé dans le désert de Ras sedr.
La genèse de Cairo Shakers
Pendant un festival organisé dans le désert de Fayoum en novembre 2014, Hicham fait la connaissance de Habiba, jeune DJ cairote qui mixe avec lui mais n’ose pas trop sortir des sentiers musicaux classiques. Il la prend alors informellement en tutorat et lui donne des conseils pour le mixage, l’ajustement des vitesses, les effets et les boucles. Il la programme ensuite en première partir de ses propres soirées. Cette collaboration provoque chez lui l’envie de transmettre un savoir et de structurer les énergies artistiques qui essaiment ici et là.
Pour Hicham, la scène égyptienne regorge de créativité mais manque de moyens. Le jeune homme réfléchit alors à une structure qui puisse donner corps à une formation technique de mixage et mélanger les savoir-faire d’artistes, performeurs et musiciens. Un projet de vidéos en ligne qui fera office de cours pour débutants est actuellement en cours de préparation avec l’objectif de démocratiser l’accès aux formations de mixage.
A terme, « l’idée est de changer un peu les set de boite de nuit deep house et de proposer une musique neuve et originale. »
En suivant Hicham dans son appartement, nous écoutons ses compositions qui s’inspirent du mahragan chaabi et le mélangent à des rythmes tribaux qui nous laissent échapper quelques déhanchements incontrôlables.
Plus qu’un DJ, Hicham est un créateur d’ambiance ; avec Cairo Shakers, il « veut partager sa volonté d’utiliser l’élement musical comme un outil pour créer une atmosphère ».