Derrière sa nature calme et son sourire serein, Hela cache un fort caractère, que trahit l’esthétique de ses œuvres. Artiste engagée, usant de divers supports, Hela saisit des moments de vie présents et à invite à travers ses oeuvres à en faire une lecture critique.
À tout juste 13 ans, le don de la jeune Hela pour la peinture est en plein épanouissement. D’ateliers en ateliers, elle finit par se consacrer à sa passion et rejoint les beaux-arts de Tunis. Durant son cursus, elle s’intéresse à « l’actualité de la guerre du golfe en art contemporain » avant de mener une thèse sur « le quotidien et le fragment comme support de création artistique ». Des bancs étudiants au pupitre professoral, elle enseigne à présent l’expression plastique et le dessin à l’unique école d’architecture du pays, celle de Sidi Bou Saïd.
Le quotidien : un point de départ
Sa recherche du détail et ses hautes exigences lui valent une réputation de professeur de fer, mais c’est cette recherche de la finesse dans la création qui lui permet d’évoluer vers un rendu esthétique épuré et pourtant chargé de sens.
Des éléments de son environnement proche, Hela puise ses inspirations.
Elle utilise des éléments ordinaires de son quotidien et réussit par un acte de sublimation à leur donner une nouvelle lecture. Son approche pleine de sensibilité confère de la pureté aux objets confectionnés.
Doté d’une grande qualité plastique, son travail résume de manière abstraite des bribes de la vie tunisienne. Qu’il s’agisse de dessin contemporain, de photos zoomant sur des textures, d’autres éléments graphiques ou d’installations monumentales, Hela reste fidèle à sa démarche réflexive et s’éloigne des attentes picturales en matière de « traitement de la Révolution ».
Sa forte conscience politique l’a amené à présenter des travaux critiques et contestataires bien avant les évènements de 2011. Son installation au titre expressif « la vie est ailleurs » a fait l’objet d’une censure. L’oeuvre représentait des fleurs (réelles) suspendues par des matières rigides comme du fer au dessus d’un vase plein d’eau. Vues d’en face, les fleurs qui surplombaient le récipient semblaient tirer leur éclat du liquide vital contenu dans le vase, mais dès que l’on changeait de point de vue, l’on s’apercevait que la réalité était autre.
Outre le vase, d’autre objets simples interviennent dans son univers artistique et interpellent le public sur le regard communément non-porté sur le quotidien, comme un fragment de vie et pourtant un élément constitutif d’une histoire. Parfois même de celle d’un peuple…
La création : un outil politique
Hela a fait ses premiers pas dans la peinture à l’huile et confirme son attachement indélébile à cette discipline qui lui procure un sentiment d’envol. Les idées qu’elle développe lui viennent d’ailleurs, au moment même où elle actionne son pinceau.
Lors de la Révolution, sa volonté d’interagir avec la société se fait plus tenace. En prenant part aux manifestations et aux sit-in, la question de l’apport de l’artiste à la situation vacillante du pays la taraude . C’est alors qu’elle s’engage dans la réalisation d’installations et use de l’art et du beau pour agiter les consciences et exprimer son espérance.
Lassée de voir les vernissages de ses expositions personnelles fréquentés par les mêmes catégories socio-culturelles, elle s’implique dans divers projets pour insérer ses créations dans l’espace public.
Dans le cadre des activités de l’association 24h d’art contemporain, Hela présente son installation mobile « ballet ». Les deux journées de la manifestation « bye bye bakchich système » ont été placées sous le thème de la « lutte contre la corruption » dans les rues de la ville natale de Ben Ali, Sousse.
Une véritable œuvre polysémique qui ne manquera pas d’attirer la curiosité des nombreuses personnes. Sa taille imposante (6m/3) et la chorégraphie menée par les 216 balais suspendus forçait l’arrêt des passants. Ils profitaient du spectacle qu’offrait l’installation : un mouvement de montées et de descentes de ces 216 ustensiles, censés balayer la corruption sans jamais toucher le sol.
La forme de l’installation, le nombre de balais et l’enchevêtrement des fils, n’était pas sans rappeler le théâtre de la constituante tunisienne.
Face au succès de cette première partie, Hela met en place un « Balai citoyen » pour renforcer l’implication d’intervenants tiers dans le processus créatif. En les invitant à rédiger un message qu’ils souhaiteraient communiquer aux dirigeants, l’artiste incite à la réflexion un public pas toujours ouvert au débat.
Interrogeant la réalité, le vécu et le social, son œuvre reste éminemment politique et continue de questionner, de proposer des pistes… Sans se figer, elle laisse libre cours à l’interprétation.
Affectées par les soubresauts de l’actualité tunisienne, les créations de l’artiste sont une réponse à la succession de chocs que le quotidien amène. Quand Hela apprend à la radio l’assassinat du militant Chokri Belaid en février 2013, son malaise est imminent. « Je ne suis pas dans mon assiette », avait-elle dit à sa fille en apercevant soudainement le reflet de l’homme politique dans l’assiette qu’elle tenait entre ses mains.
Son reflex est naturel. Hela se saisit de sa palette et replace le portrait de Chokri près du creux de l’objet en porcelaine. Si l’étymologie latine du récipient « assedere » désigne le verbe « s’asseoir », Hela a rendu à l’objet son sens en tentant d’y insérer des profils qui y trouvaient un équilibre différent.
« Je ne suis pas dans mon assiette » devient une installation-mosaïque formée de 49 portraits de tunisiens de tous bords qu’on remarque différemment selon l’angle où l’on se place. L’assiette de Hela, peinant toujours à trouver son équilibre, reste quant à elle vierge de représentation.