Nous partons à la rencontre de Hani Zorb, un peintre qui a grandi à Rafah et qui puise dans des notions comme l’exil et l’enfermement pour créer.
Hani a la grâce du poète et l’humilité du compteur qui vous emmène doucement dans son monde au rythme des tasses de café qui se vident. Je le rencontre en été 2014 dans son atelier à Montreuil : lieu de calme où l’artiste peint aujourd’hui et où résonnent, sous ce ciel schizophrène de fin août, les notes des morceaux de flamenco de Bebo y Cigala. C’est donc sur fond d’une mélodie dont les mots sont emprunts d’une nostalgie évoquant un lieu perdu que débute notre rencontre.
Hani Zurob est né en 1976 et a grandi à Rafah, camp de réfugiés situé dans la bande de Gaza. Après des études à l’Université Al-Najah près de Naplouse, il passe plusieurs années à Ramallah avant d’être contraint de vivre Paris où il demeure encore aujourd’hui. Marquée par son vécu de l’exil, de l’impossibilité du retour d’abord à Gaza, puis dans la West Bank, l’expérience personnelle de l’artiste est le premier terreau de son travail.
Pour Hani, « il n’y a pas de frontières entre les questions politiques et les histoires personnelles » dans son travail. Ainsi, le peintre explore différents sentiments comme celui l’attente ou de l’enfermement mais également un ensemble de techniques différentes, jonglant avec les matériaux ( l’huile, l’acrylique, le goudron…) et navigant entre le figuratif et l’abstraction, entre le cubisme et le surréalisme. Le peintre y voit « un enchaînement de cycles auquel on donne la vie puis la mort« .
Le peintre acteur de ses toiles et témoin de son temps
Au sein des premières séries telles que Siege (2004, 2005), on découvre dans un premier temps du peintre sujet de ses propres toiles. On y voit un corps d’homme nu allongé, accroupi ou à genoux, et l’on y devine seulement un visage, de face ou bien souvent de profil, aux traits comme dilués. C’est ici le peintre témoin de la seconde intifada et le peintre enfermé arbitrairement en prison qui parle. Les corps, très souvent en position fœtale et paraissant parfois presque démembrés semblent parler de l’expérience de l’enfermement quand l’espace de vie du peintre, alors à Ramallah, « va de l’école (où il est alors professeur) à son atelier« . Les couleurs sont vives avec le jaune et le bleu comme dominantes et reflètent pour Kamal Boullata, l’auteur de la très intéressante monographie de l’auteur « une référence au contraste de couleur entre la mer de Gaza et l’aridité des paysages urbains de Ramallah« .
En 2006, Hani arrive à Paris pour une résidence à la Cité internationale des arts et expérimente de manière plus poussée l’abstraction, qu’il mêle de manière aléatoire à des détails figuratifs. Avec des séries telles que Sortie ou Barrage, le peintre propose une nouvelle atmosphère, pleine de mouvements amples qui semblent marqués par l’urgence et des tensions violentes. La fin de Barrages coïncide avec la deuxième expérience de l’exil pour Hani, interdit de retourner à Ramallah au risque d’être immédiatement enfermé en prison.
Il n’est donc pas étonnant que les premières années parisiennes du peintre soient fortement marquées par ce lien direct entre l’expérience personnelle de l’artiste, réfléchissant sur sa propre condition, suivant les évolutions politiques dans son pays natal tout en subissant la distance qui lui est imposée. Sa propre introspection influe donc également à la fois sur les thèmes et les techniques utilisés : Hani intègre ainsi de nouveaux matériaux tels que le goudron à ses toiles, pour lui « il y a d’abord l’idée, le concept et la technique. Les matériaux viennent ensuite« . Elle nourrira autant sa réflexion sur la représentation de sentiments tels que l’attente, que sa recherche entre l’abstraction et le figuratif. Si Hani intègre sa propre expérience dans son art, elle prend cependant une dimension collective qu’il explique très bien : « lorsque l’on en vient à n’importe quelle sensibilité palestinienne, le soi et l’autre ne font qu’un, surtout dans le cas de l’expérience de l’attente« .
Le peintre père, un passeur de mémoire
Dans ses séries Flying Lesson et Waiting, Hani représente son fils appréhendant ce qui l’entoure, immobile ou en mouvement et souvent maître de ses jouets. Les fantasmes et les rêves de l’enfant semblent ainsi prendre forme dans des fonds marqués, éléments renvoyant au contexte palestinien. Ces espaces illustrent pour Hani la tension qu’il y a entre « l’amplitude des grands espaces et l’enfermement« , un paradoxe présent en Palestine lorsque l’on réalise, même au milieu des montagnes de la vallée du Jourdain que le lieu est clos et dénaturé par la présence de colonies israéliennes. « Il s’agit d’une perception très étrange du temps et de l’espace qui résulte du vécu de l’occupation. » De plus, l’ambiguïté des perspectives et le jeu sur les proportions composant les seconds plans des toiles de ces séries illustrent « le fait qu’il n’y a pas d’endroit où aller, pas d’endroit où se poser« . En mettant en scène les interrogations de son fils, en se mettant dans la peau de son jeune garçon, « héritier de la diaspora« , parfois en mouvement au volant d’un petit avion, parfois debout au sommet d’un pan de mur, parfois perdu dans des fonds où l’horizontale et la verticale dont indissociables, Hani explore sa propre expérience de l’exil.
L’oeuvre d’Hani Zurob est donc à la fois le récit d’une vie et le support de son expérience de la mémoire. Elle évoque l’homme au travers de l’histoire de sa terre et des siens. Elle est un voyage pour chacun au cœur de son expérience de l’espace et de l’identité. Elle est enfin une traversée au cœur de la recherche artistique d’un peintre dans son époque, c’est à a dire dans son histoire politique certes, mais aussi dans son évolution artistique. Car si le peintre est un fervent acteur de la résistance culturelle palestinienne, il n’est pas question pour lui d’être étiqueté comme palestinien et, par vase communicant, comme victime de l’occupation israélienne avant toute chose. Le peintre « est d’abord un artiste » qui utilise la peinture comme médium d’expression et qui cherche à évoluer dans son art. Hani veut que le public « ressente le contenu de la toile, avant de l’interpréter puisque, de toute façon, les interrogations et sa compréhension naîtront dans les émotions qu’une toile peut susciter« .