Haneen : 39 Histoires, 47 artistes et nos cœurs en otage.

Artwork by Kamal HAKIM

Derrière la douceur que laisse présager le titre de l’exposition Haneen (tendre en arabe) qui vient d’avoir lieu à Beyrouth, se cache pourtant beaucoup de souffrances. Des souffrances d’enfants ayant grandi trop vite et dont les chants heureux ont été violemment remplacés par les cris assourdissants d’un monde qui va mal. Les cris des guerres faucheuses.

Au cœur de l’emblématique et porteuse d’histoire « Maison Jaune », aujourd’hui réhabilitée en musée et haut lieu culturel de Beyrouth, règne une sensation d’apesanteur. Un moment figé dans le temps, qui loin des chiffres et du brouillage médiatique qui s’impose à nous au quotidien, vient livrer aux visiteurs le temps d’un tendre et rude instant, l’occasion de se rapprocher un peu plus de ce dont on ne cesse de nous parler ou plutôt de ce dont on ne parle jamais : l’impact émotionnel de la guerre sur ses victimes, et plus particulièrement sur les enfants.

Tourmentés par les violences, confus par les pertes et perdus dans l’oubli, des enfants syriens âgés de 10 à 15 ans se sont livrés à travers l’exercice de l’expression de soi, et cela, malgré la difficulté qui le caractérise.

Rassemblées par l’association Beyond dans le cadre de séances d’Art Therapy (séances de travaux artistiques) ayant pour but d’atténuer les traumatismes, ces jeunes âmes torturées ont commencé à purger tous ces maux et interrogations ancrés dans un passé douloureux et un présent aliéné par ses sombres vestiges. De fil en aiguille et malgré la difficulté de s’exprimer dans un premier temps, la plume de ces enfants s’est laissée prendre dans le flot de l’écriture et d’elle ont coulés des perles de tristesse aussi belles que le Liban et la Syrie, aussi tristes et déchirantes que leurs ruines.

De ces textes et poèmes a surgi le besoin de transmettre. À la source de cette idée, on retrouve une grande dame qui a marqué l’UNICEF pendant 35 ans. Cette grande dame n’est nulle autre que Soha Bsat Boustani dont la dévotion et l’implication dans la cause des enfants ne font que s’accentuer, et cela, même après son départ à la retraite. Elle le prouve une fois de plus en initiant le projet Haneen. UNICEF Liban, l’association Beyond et Yelostudio que préside Chadi Aoun, ont donné corps à ce projet ensemble et ont permis à une voix, souvent absente auparavant, de crier subtilement à travers les œuvres d’art de 48 artistes libanais et syriens.

"Did my doll grow up too early, like I did ?"

« Did my doll grow up too early, like I did ? » Maya FIDAWI

Baissez la garde et imaginez leur réalité. Telles sont les instructions à suivre pour s’imprégner pleinement de la charge émotionnelle que procure le travail des artistes et des enfants. L’intimité, la vie dans les camps, les pertes, les souvenirs, l’incompréhension, l’amour du pays, la rage, le désespoir, l’enfance volée, l’innocence perdue, l’aliénation, la guerre, la mort… Tels sont les thèmes retrouvés dans les différentes oeuvres.

Qu’il s’agisse de l’expérience visuelle à travers les travaux visuels de 39 artistes, ou encore de l’expérience sonore proposée par les musiques et sons composés par les 8 musiciens, tout est là pour éveiller les visiteurs. Tout est là pour leur rappeler que les victimes des guerres sont avant tout des personnes qui ressentent des choses, et non pas des chiffres qui s’accumulent à la même vitesse que les guerres les assassinent. Se connecter, se calmer, s’éveiller tels sont les mots d’ordre pour tirer profit de cette exposition.

Le lieu dans lequel se tient Haneen n’a pas été choisi par hasard. Situé sur l’ancienne ligne de démarcation du temps de la guerre, il s’agit de l’ancienne « Maison Jaune » aujourd’hui appelée Beit Beirut. Ce bâtiment emblématique de la vie beyrouthine ne laisse personne indifférent, il semble parler aux passants pour raconter ses histoires et leurs montrer ses blessures de guerre encore béantes sur ses façades. Beit Beirut est une vraie relique de la mémoire de guerre, mais ce lieu ne s’est pas laissé abattre pour autant. Comme un sphinx qui renaît de ses cendres, Beit Beirut s’est transformé ou plutôt guéri. Aujourd’hui, c’est un musée et un haut lieu de culture de Beyrouth. Selon Chadi Aoun, Beit Beirut était l’endroit idéal pour la transmission de tous les précieux messages que délivrent Haneen.