Ghost Hunting, plongée dans le traumatisme carcéral des Palestiniens

Sélectionné au festival du Cinéma du Réel et primé à la Berlinale comme Meilleur Documentaire en 2017, Raed Andoni ouvre le festival Ciné Palestine avec son deuxième long-métrage.

Avec Fix ME (2009), le réalisateur filmait sa propre psychothérapie pour soigner sa migraine. Aujourd’hui, il se met une seconde fois en scène accompagné d’hommes qui, comme lui, sont des anciens détenus des prisons israéliennes. Dès son premier documentaire, Raed Andoni faisait allusion à la prison au sens propre mais aussi en reliant cette dernière à la situation politique en Palestine. « Comment parler de ma propre liberté quand mon pays a perdu la sienne ? » En quête de liberté d’esprit, le réalisateur ravive les souvenirs douloureux pour mieux les confronter.

Ghost Hunting, documentaire fiction, retrace la construction du décor du centre de détention d’Al Moskobiya à Jérusalem, spécialisé dans les prisonniers politiques palestiniens qui y subissent tant des violences physiques que morales. Une dynamique collective où les acteurs non professionnels usent de leurs souvenirs incomplets – à cause de leurs yeux bandés – pour recréer ce lieu brutal. Ghost Hunting, à la frontière entre réalité et fiction, se présente comme un film cathartique où le spectateur assiste à la descente aux enfers des prisonniers qui tentent de soigner leurs cicatrices en rejouant des scènes vécues.

Au fur et à mesure que la construction du décor prend vie dans ce hangar de Ramallah, les histoires remontent et les sentiments enfouis ressurgissent. A l’intérieur de chacune des pièces (entrée sombre, salle d’interrogation, salle d’isolement, cellule, etc.) chacun joue un rôle et réveille les situations vécues. D’une scène où l’ex-prisonnier se fait prendre en photo avec le drapeau israélien en arrière plan, à une autre où il est trainé dans sa propre urine ou encore où son crâne est frappé contre les murs : le film nous laisse imaginer une réalité crue et violente. La reconstruction d’un centre de détention à l’intérieur de la fabrication d’un film dont la mission principale pourrait être justement de se débarrasser de ces fantômes qui hantent leurs esprits.

 

Un docufiction où la fiction documente un processus de création carcéral pour évacuer la douleur et la souffrance subies par les prisonniers palestiniens.

Ghost Hunting s’ouvre sur le casting des différents comédiens qui seront présents à l’image. Tous exercent un métier différent et, sauf pour un acteur professionnel, c’est la première fois qu’ils jouent. Maçon, architecte d’intérieur, charpentier …. tous sont des ex-prisonniers, tout comme le réalisateur et son assistant. Le dispositif est le suivant : chacun, avec son savoir-faire, participe à la construction du décor du centre d’interrogatoire d’Al Moskobiya. La caméra filme les travaux qui donneront lieu par la suite aux scènes rejouées par les personnages.

La singularité de ce film réside dans sa mise en scène qui ne cesse de jouer avec les limites entre réalité et fiction. Brouillage des frontières des deux mondes, Raed Andoni révèle l’énergie des sentiments et des actions grâce à la la fiction, l’improvisation et le réel. Le sujet du film étant une histoire vraie jouée par des ex-prisonniers qui ont vécu ces événements, il s’agit d’un véritable témoignage. On atteint la vérité par un dispositif où la dureté cruelle de la vérité est évoquée par le cinéma. Chacun leur tour, les anciens détenus jouent un rôle dans la prison : geôlier, prisonnier, surveillant, etc. On assiste au phénomène surprenant où chacun d’eux rejouent des scènes vécues – en tant que victime ou oppresseur – et où, souvent, ils oublient la caméra et se laissent emporter par leurs émotions.

Raed Andoni emploie divers moyens cinématographiques relevant de la facticité et de la vérité pour revivre l’inimaginable. Ainsi, il use de l’illusion du faux (décor, situations rejouées avec des rôles différents) au service du vrai (situations vécues en prison). Le vrai du faux et le faux du vrai sont indissociables dans la mesure où le résultat donne à voir une authenticité rare. Les émotions, les larmes, les coups sont sincères. L’œil bienveillant de la caméra fait surgir une émotion douloureuse mais quelque part aussi libératrice.

« Mais c’est une façon aussi de vaincre le geôlier par l’art, c’est-à-dire que si eux construisent des prisons et bien moi je fais des films » explique le réalisateur à l’issue de la projection au Luminor.

Raed Andoni dresse une ode au cinéma et à son pouvoir révélateur : « Tous ensemble, par ce film, on a créé de nouveaux souvenirs par l’art justement pour remplacer ce souvenir violent et douloureux » poursuit-il. Avec la volonté de faire face à des souvenirs qui le hante mais qui hante aussi toute une population qui passe par ce lieu tristement connu de Jérusalem, Ghost Hunting dresse un portrait politique de la situation actuelle et de la réalité qui s’y déroule tous les jours. Ce film est d’une actualité frappante, lorsque l’on sait que la grève de la faim de 40 jours initiée par Marwan Barghouti et suivie par plus de 1600 prisonniers politiques qui se battent pour leurs droits les plus fondamentaux, s’est achevée il y a à peine quelques jours.

Raed Andoni continue, avec son deuxième long métrage, de participer au développement du cinéma indépendant palestinien en rappelant au monde la mémoire torturée de son pays : « Parce que c’est une histoire qui doit être racontée à toute l’humanité. Il faut qu’elle ait honte après avoir vu ce que le film représente ». Et pourtant, « nous sommes encore en prison aujourd’hui » conclut-il.

Le film sera de nouveau projeté lors du festival Ciné Palestine le jeudi 8 juin à 20h au cinéma l’Ecran à Saint Denis.

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