1948-2018. La Nakba, ou « catastrophe » en arabe, donne le ton à la 4ème édition du Festival Ciné-Palestine. Une mise en lumière sur cette période obscure, 70 ans après l’exil forcé des palestiniens. L’occasion de révéler une nouvelle génération de cinéastes à un public hétéroclite. Du 25 mai au 3 juin, deux salles parisiennes (Luminor et 3 Luxembourg) ont laissé sa chance au festival. Montreuil, Aubervilliers, et Saint-Denis ont accueilli la suite des événements. Retour sur cette semaine où les images se permettent de réécrire l’Histoire.
Honneur à la création contemporaine
The Reports on Sarah and Saleem ouvre le festival en présence du réalisateur, Muayad Alayan. Quand une liaison extra conjugale entre un livreur palestinien et une israélienne devient affaire d’état judiciaire et publique. Alayan explique que n’importe quel événement – a priori insignifiant – lié au citoyen de Jérusalem-Est peut s’envenimer jusqu’à nuire à sa propre vie. Un récit de vie de personnages ordinaires… dans le cadre extraordinaire qu’est celui d’un pays colonisé. Le film, en avant première, vient entraver à la fixité cinématographique accolée au cinéma palestinien. Mais le contexte géopolitique y reste omniprésent.
We’re burning down in flames and the skies don’t care
Séance courts-métrages: l’artiste Dima Hourani dépeint une « marche du retour » réappropriée avec Past Tense Continuous. Au programme aussi, We began by measuring distance (Basma Alsharif), Restored pictures (Mahasen Nasser-Eldin), et le documentaire Ma’aloul fête sa destruction de Michel Khleifi, pionnier du cinéma palestinien. Cette année, jury et public récompensent Rakan Mayasi pour son court-métrage Bonboné dans le cadre du concours « jeune talents ». Comment accoucher de nouvelles générations de palestiniens lorsque les conditions imposent une séparation physique entre les couples dont le mari est en prison ? D’une simplicité troublante et justifiée, Bonboné crée l’unanimité.
La nouveauté de cette 4ème édition: une soirée spéciale sur la place de la basilique de Saint-Denis. La chanteuse palestinienne Rasha Nahas (résidente à la Cité des Arts), envoûte le public. S’ensuit le clarinettiste de formation jazz Mohamed Najem avec son groupe. Entre quelques notes et la projection du documentaire Rough Stage (Toomas Jarvet), les bénévoles du festival servent le repas, palestinien lui aussi. La pluie estivale n’aura heureusement pas raison de la performance du danseur contemporain Maher Shawamreh. Les pieds sur le sol, ses mouvements le guident vers un ailleurs, libre et lointain.
Entre documentaire et fiction
Une rétrospective nous replonge dans l’univers cinéma-documentaire de la splendide Mai Masri. La réalisatrice de nationalité libanaise ne manque pas de souligner que la moitié des cinéastes palestiniens sont…. des femmes. Tel est l’enjeu: continuer de se battre contre les gender fronteers en deçà des frontières politiques. Les Enfants du feu ou encore Les Enfants de Chattila viennent saupoudrer le présent d’événements anciens. Mai évoque une manière de reprendre possession de ce phénomène historique à travers les images mouvantes. Et ses films reposent avant tout sur l’impossibilité de faire un film. La prison, thème récurrent dans le cinéma palestinien, rappelle évidemment la condition des citoyens non-israéliens sur un territoire occupé, accaparé.
A picture lasts longer than a human being
On découvre aussi le cinéma expérimental de Kamal Al Jafari avec Recollection. Si l’auteur est intimement lié aux images qu’il a récupérées, les noms des endroits et personnes filmées n’apparaissent qu’au moment du générique. Un vrai travail opéré sur les notions de visible et d’invisible. Le spectateur ignore qu’il se trouve à Jaffa, ville natale du cinéaste. Et les personnes filmées ne sont autres que famille, amis ou voisins côtoyées en Palestine. Les images d’archives mêlent couleur et noir et blanc au détour de rues fantomatiques. Au fur et à mesure, des apparitions humaines s’ajoutent, plus ou moins nettes — souvenirs fugaces, inconstants. L’instabilité de la caméra rappelle évidemment celle de la ville, du pays.
Au dessus de nos têtes, volaient les mouettes, rentrant et sortant des fenêtres du deuxième étage de la maison abandonnée. J’entends toujours leurs cris résonner dans l’air.
Le 4e Festival Ciné-Palestine se clôt par Les Dupes, film syrien de Tawfiq Saleh (1972) adapté du roman Des Hommes dans le Soleil (Ghassan Kanafi). Une éblouissante mise en image d’une véracité dévorante sur l’exil. Les cinéastes exposent avec brio un conflit central, qui ressurgit inévitablement. Et réussissent à dépasser le cloisonnement politique pour enfin légitimer une expression artistique à part entière. Les organisateurs et bénévoles du FCP n’ont pas attendu que la Palestine trouve sa place sur le pavillon cannois en mai 2018 pour oser promouvoir une culture cinématographique nouvelle, d’une immense et belle richesse.