Fatimazohra Serri, photographe de l’intime politique

Fatimazohra_Serri

Dans le flot d’images lisses et packagées que l’on gobe sur nos écrans, – et particulièrement sur Instagram, royaume de l’expression publicitaire du Moi -, il se trouve, parfois, un cliché qui nous saisit parce que l’on peut enfin en sentir la texture. C’est le talent de Fatimazohra Serri (serri veut également dire « mon secret » en arabe), jeune photographe marocaine toute à l’invention de son esthétique personnelle.

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D’abord adepte des formats classiques de la photographie de rue et du journal visuel, son style s’est récemment cristallisé dans des compositions raffinées questionnant à la fois marocanité, et féminité.

Autodidacte, Fatimazohra porte un uniforme de comptable le jour, tandis que son histoire est celle d’un confinement qu’elle verse généreusement dans ses créations. Tout au long de notre discussion, elle insiste sur la particularité de son milieu, dans la très conservatrice ville de Nador, au Nord du pays. Face à la surreprésentation inévitable des jeunes créatifs basés dans les grandes métropoles cosmopolites comme Casablanca, sa voix est déjà à la marge. Elle brosse à grands traits la chape de plomb sociale qui structure cette ville provinciale et traditionnelle. Les femmes, bien sûr, en sont les figures sacrificielles, accablées de tabous, d’interdits et de frontières.

Mais moi, je n’ai pas grandi comme ça. Depuis petite, je suis témoin de choses avec lesquelles je suis en désaccord.

Au fil des images, et de l’assurance grandissante de son geste photographique, la démarche politique de Fatimazohra se fait plus véhémente. Se mettre en scène sur les réseaux sociaux, et y dévoiler son visage est en soi une transgression des valeurs de son monde. Que dire alors de ce cliché frontal qui exhibe un tabou primaire, celui des menstruations féminines ? En interrogeant ainsi le corps physique et social de la femme dans son intimité la plus organique, Fatimazohra s’attaque résolument à la notion de pureté et de honte originelles.

Mais Nador a également donné à sa photographie son grain particulier. Y grandir, c’est avoir été inspirée par une certaine esthétique du quotidien qui renvoie à un Maroc profond, celui des traditions et du temps long. Loin de l’exotisation, Fatimazohra réarticule ces éléments dans des associations d’idées qui font émerger le sens, et la sensibilité.

C’est de ces juxtapositions éclectiques que naît la texture de ses images. Au milieu de compositions classiques qui dépeignent des instants suspendus aux références orientalistes, Fatimazohra met aussi bien en scène des objets de l’intime et du quotidien ménager, que des touches pop. Les femmes représentées sont des corps voilés, leurs visages sont souvent éclipsés, tandis que leur présence évanescente est tournée vers un ailleurs. C’est justement cet ailleurs que Fatimazohra nous donne à voir dans ses tableaux symbolistes, à la fois éloquents et nimbés de mélancolie, saisissant par là le monde intérieur de ses sujets.

صكوك الغفران..

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Fatimazohra transcende ainsi les entraves qui la bâillonnent tous les jours. Or, ces variations photographiques autour de sa propre exploration identitaire sont autant de regards portés sur les lignes de failles qui travaillent la société marocaine. Observer cette mue artistique prometteuse vaut bien l’ingurgitation de l’énième photo « minimaliste » de café sur nos fils Instagram.