Fatima al-Qadira – une artiste polyédrique

Fatima Al Qadiri © Dom Smith

Fatima al-Qadiri est une artiste à facettes : compositrice, plasticienne, curatrice, productrice ; elle enchaîne les collaborations avec des artistes des plus variés et ne cesse de parcourir le monde pour animer un concert ou exposer une nouvelle œuvre.

Comme toute khaleeji de bonne famille, Fatima al-Qadiri a un parcours de vie non moins singulier. Il s’ouvre en 1981 lors de sa naissance à Dakar au Sénégal mais sa famille retournera s’installer au Koweït à ses deux ans. Elle part ensuite faire ses études supérieures entre les États-Unis d’Amérique de la Pennsylvanie, de Washington, de Miami et de New York. Depuis quelques années elle habite à Berlin en Allemagne. Fille du diplomate et écrivain Mohammed al-Qadiri et de l’artiste plasticienne et écrivaine Thuraya al-Baqsami, elle est la cadette de deux sœurs dont la dernière, Monira al-Qadiri, est reconnue internationalement dans le milieu de l’art contemporain.

Fatima al-Qadiri et Khalid al-Gharaballi, Mendeel Um A7mad (N x I x S x M), installation multimedia (2012)

Du son…

Dans sa musique elle a réussi à créer un style propre alliant cyber-pop et futurisme. Elle transforme des chants islamiques traditionnelles en versions spectrales dans Warn-U, l’un de ses premiers EP sorti en 2011 sous le pseudonyme Ayshay (أي شي) chez Tri Angle. On retrouvera cette même patte artistique dans un deuxième EP intitulé Genre Specific Xperience qui sort la même année chez UNO mais cette fois-ci sous son nom ; il sera suivi l’année d’après par un remix de l’opus chez le même label. Toujours en 2012, son troisième EP Desert Strike chez Fade to Mind fait écho au célèbre jeu vidéo américain de 1993, créé peu de temps après la guerre du Golfe.

Fatima al-Qadiri, Desert Strike EP, Fade to Mind (2012)

Desert Strike: Return to the Gulf est un jeu d’action mettant le joueur aux commandes d’un hélicoptère de combat qui évolue dans le désert d’un Émirat fictif du golfe Persique. Le but du jeu nous ait expliqué par un président des États-Unis lui aussi fictif : « le Général Ibn Kilbaba est un leader terroriste [portrait craché de Saddam Hussein] qui a pris le contrôle d’un petit Émirat arabe connu pour sa grande richesse avec une politique militaire extrême. Il est connu pour être sans pitié pour ceux qui aurait le malheur de croiser sa route. »

Fatima al-Qadiri et sa sœur y ont joué dès sa sortie, un an après que Saddam Hussein ait envahit le Koweït pendant la Première Guerre du Golfe. Sa musique oscille entre ces deux contextes et donne un rendu où nous ne savons plus si l’humour prend des tonalités claires ou obscures. Asiatisch et Brute sortent conjointement dans les bacs en 2016. Les deux sont très différents : le premier explore un imaginaire chinois comprenant tous les stéréotypes qu’un étranger peut se faire sur la Chine en partant d’influences occidentale, moyen et extrême-orientale ; le second questionne l’autorité et le rapport qu’entretiennent les forces de l’ordre avec les civils et leur espace. Son dernier EP Shaneera paraît chez Hyperdub en 2017 et se démarque encore une fois des précédents. Cette fois-ci, Fatima al-Qadiri invite ses amis Bobo Secret et Nayglow à collaborer avec elle pour la partie vocale. Shaneera signifie l’abjection mais également une reine sauvage et cruelle dans le langage queer – ce sont ces thématiques qui seront mises en valeur au sein de cet opus. Fatima al-Qadiri est aussi l’une des quatre membres du groupe américain Future Brown qui s’est fait connaître en mélangeant des sons et des chants de la culture urbaine et des différents pays d’où sont issus les musiciens et des nombreuses collaborations vocales effectuées jusqu’à ce jour. Depuis 2018, elle est membre votant de la Recording Academy (NARAS), une institution américaine réputée pour décerner les Grammy Awards chaque année.

Fatima al-Qadiri feat Bobo Secret, « Spiral », clip de Sophia al-Maria (2017)

 

…à l’image

Fatima al-Qadiri est aussi célèbre pour avoir créée en 2012 avec l’artiste américano-qatari Sophia al-Maria le concept du Gulf Futurism. Elles le définissent dans un article et dans un entretien réalisé avec Karen Orton parus conjointement dans le magazine anglais de culture alternative Dazed Digital. Avec des exemples concrets, elles vont illustrer certaines conséquences du développement soudain des villes du golfe Persique depuis les années 1970, suite au premier choc pétrolier qui entraîna une augmentation du marché pétrolifère de la région. En plus de créer une rupture dans les arts et la culture contemporaine en proposant un fonds de commerce des plus intéressants, le Gulf Futurism joue avec les promesses non tenues d’une utopie moderne et moderniste qui se détacha de la tradition et de son histoire.

The Desert of the Unreal, série photographique © Fatima al-Qadiri et Sophia al-Maria

Cette alliance avec Sophia al-Maria ne fut pas la première et encore moins la dernière. Nous les retrouvons avec d’autres personnes de la scène artistique du golfe Persique dans l’écriture de certains articles de la revue artistique Bidoun ; Sophia al-Maria a de plus réalisé quelques-uns de ses clips, tel que Spiral présenté plus haut ; elles font aussi parties des membres fondateurs du collectif artistique GCC.

Formé en 2013 dans un salon VIP de la Sultan Gallery pendant la foire internationale d’art contemporain Art Dubai, le nom du groupe fait allusion à l’acronyme du Conseil de coopération du Golfe (le partenariat politique et économique intergouvernemental qui relie six pays de la région). C’est une délégation d’artistes composée à ce jour de huit membres : Fatima al-Qadiri, Abdullah al-Mutairi, Amal Khalaf, Aziz al-Qatami, Barrak Alzaid, Khalid al-Gharaballi, Monira al-Qadiri et Nanu al-Hamad – Sophia al-Maria s’est retirée quelques temps après la formation du groupe. Il a la particularité d’être un collectif né de la mondialisation artistique parce que ces membres entretiennent tous des liens avec la région du golfe Persique mais vivent entre le Koweït, New York, Amsterdam, Londres et Berlin. Outre plusieurs sommets tenus en Suisse, au Koweït, en France et à New York, Whatsapp est le principal mode de communication du groupe.

GCC, My Vision (2017) Digital video, vue de l’installation au Commerical Break présenté par Public Art Fund au Barclays Center’s « Oculus, » New York, 2017. Photo : Jason Wyche

Plus récemment

Fatima al-Qadiri a plus d’un tour dans son sac et ne cesse de développer son approche artistique. Dans la continuité de son dernier EP Shaneera, elle a participé avec Khalid al-Gharaballi à la dernière édition de la Biennale de l’Image en Mouvement de Genève. Ensemble, ils ont conçu l’installation Shaneera General Trading qui prend la forme d’un magasin de contrefaçons à l’effigie de Shaneera, l’alter ego créé par Fatima al-Qadiri. Cette pièce aux néons agressifs met le public à la place du chaland où il n’a d’autre choix que de parcourir les vêtements accrochés à des portants et d’observer dans le miroir non pas son reflet mais celui de Shaneera qui le regarde en retour.

Fatima al-Qadiri et Khalid Gharaballi, croquis de l’installation Shaneera General Trading présentée à la Biennale de l’Image en Mouvement de Genève, du 10 novembre 2018 au 3 février 2019

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