Emel Mathlouthi, le retour d’un électron libre

En tournée internationale, Emel Mathlouthi a retrouvé son public parisien pour un concert aux airs de symphonie pastorale. L’occasion de découvrir son dernier album, une petite révolution.

Sorti en février sous le label américain Partisan records, « Ensen » (Humain) marque l’évolution de l’artiste vers un style résolument plus sombre, faisant la part belle aux expérimentations musicales. Si son répertoire reste riche en inspirations locales avec la présence de percussions maghrébines, l’artiste s’essaie à d’audacieux arrangements au creuset d’influences électro et trip-hop.  La Björk du Sud fait dialoguer des galaxies musicales éloignées. Toundra scandinave et steppe nord-africaine se côtoient dans un trémolo. Grisant.

Tendue, détendue

Mardi soir, la Gaîté-Lyrique a baigné dans une atmosphère onirique où bendir et guembri sont entrés en communion avec une guitare électrique et des violoncelles. Ecrans-vidéo à 360° à et chorégraphies tribales aidant, le public a vibré au rythme d’une performance aussi captivante que déroutante.

Grave et chargée d’éléments acoustiques, l’interprétation a tout d’une séance de mysticisme. Vêtue d’un corsage aux manches bouffantes lui donnant l’allure d’un cygne touché par la grâce (ou celle d’une poupée désarticulée d’un film de Tim Burton ), la fleur de jasmin s’est transformée en rose noire. Et on le sent.

Tour à tour, les titres se suivent et ne se ressemblent pas. Emel chante en arabe mais aussi en anglais, comme pour échapper à toute tentative d’assignation à résidence. Avec « Lost », celle qui vit désormais à New York se perd, pour mieux nous retrouver. Se cherche-t-elle encore ? « Chkoun ana ? » (Qui suis-je ?) esquisserait un début de réponse. 

Poétique, politique

Célébrée pour ses protest songs à l’aune des Printemps arabes, la passionaria tunisienne ne renonce pourtant pas aux textes engagés. L’exil, l’injustice et l’espoir sont abordés au détour d’une chanson.

« Ensen Dhaif » (Un être faible) prend les accents d’un manifeste et enflamme la scène. « Kaddesh » rend hommage aux réfugiés syriens quand « Liberta » souffle un vent de liberté dans la salle.

En s’éloignant de l’étiquette world-music qui renvoie les artistes non-occidentaux à une identité musicale figée, ce nouvel opus aspire à une universalité de l’entre-deux. Ceux qui sont venus s’imprégner de complaintes orientales sur fond de youyous ont dû repartir bredouilles.

Pertinente, impertinente

A la fin du concert, les fans réclamant l’emblématique « Kelemti Horra » (Ma parole est libre) n’ont pas eu gain de cause. La liberté était ailleurs.

Avec « Ensen », Emel Mathlouthi offre de nouvelles voies à sa voix. À écouter religieusement.

Photos de Sarah Benamar pour ONORIENT.