Dorsaf Hamdani. Hommage croisé à Barbara et Fairouz

Pochette de l'album Barbara-Fairuz.

Barbara et Fairouz. Toutes les deux ont chanté la vie, l’amour, les passions et le désespoir en refusant les travestissements et la facilité. Leurs plus belles chansons, désormais classiques des répertoires français et arabe, sont aujourd’hui réinterprétées par Dorsaf Hamdani, dans un respect de la tradition musicale orientale mais enrichis d’influences venues d’ailleurs.

Dorsaf Hamdani. Crédit : DR

Dorsaf Hamdani. Crédit : DR

Deux femmes. Deux icônes sacrées de la chanson, deux divas issues d’univers distincts mais qui ont en commun une vie dédiée à leur art, réunies dans un même album. Voilà le projet longtemps mûri par la chanteuse tunisienne Dorsaf Hamdani. Barbara-Fairouz, c’est le pari audacieux de jeter un pont entre la « longue dame brune » et la « voisine de la lune« . Les puristes des deux camps pourront s’en offusquer de prime abord mais ne tarderont pas à être conquis dès les premiers accords.

Car Fairouz et Barbara sont ce qu’elles chantent. Une même profondeur émotionnelle se dégage de leurs voix. Jamais elles n’ont triché : leurs chansons reflètent leur âme et c’est en cela qu’elles ont su conquérir un public adorateur. Elles réussissent à se dévoiler tout en pudeur, à se donner entièrement mais en maintenant leur aura de mystère. L’une comme l’autre ont farouchement cultivé leur liberté, sans concession aucune, et se sont affirmées à la fois en tant que femme et artiste.

Au-delà de leur virtuosité musicale, c’est avant tout le vécu de ces femmes qui a fait naître chez Dorsaf Hamdani l’envie de se lancer dans une telle aventure. Formée au chant classique, Dorsaf baigne dans le tarab depuis l’enfance : son père violoniste et chanteur la réveille chaque dimanche avec les mélodies d’Oum Kalthoum et Abdel Halim Hafez, et c’est émue qu’elle se souvient encore des cérémonies de mariage lorsque, une fois le flot d’invités tari, elle posait la tête sur les genoux de sa grand-mère pour l’entendre chanter Asmahan.

La chanteuse tunisienne ne se cantonne pas à l’étiquette que l’on pourrait lui imposer et n’hésite pas à élargir son univers, outrepassant les frontières et les époques. En 2012, son album Princesses du chant arabe était une ode enchanteresse aux trois chanteuses moyen-orientales par excellence : Oum Kalthoum, Fayrouz et Asmahan. Auparavant, elle avait chanté les rubaiyat d’Omar Khayyam en mêlant sa voix à celle de l’iranien Alireza Ghorbani pour la création Ivresses. Le vin et l’amour célébrés par un homme persan et une femme arabe : Ivresses se présentait comme un véritable ravissement, quintessence de la mystique islamique.

Barbara-Fairouz est d’abord une envie de travailler sur l’héritage de deux artistes, musicalement mais aussi humainement. Pour la chanteuse tunisienne, il s’agissait d’un désir artistique et personnel : elle voulait décoder ces deux personnalités afin de poursuivre son propre chemin de femme aux multiples influences. Pourtant, entre Dorsaf et Barbara, la rencontre ne s’est pas faite naturellement. Malgré sa familiarité avec le répertoire de la chanson française, elle la trouvait impénétrable et austère : « Je vivais à Paris et je voyais l’amour qui était porté à Barbara. Même ma sœur trouvait ses chansons magnifiques mais elles ne me touchaient pas. Intriguée, j’ai acheté ses disques. Après les avoir laissés de côté une douzaine d’années, ça a soudain été le déclic« .

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Il convient de souligner le rôle crucial de l’accordéoniste Daniel Mille dans cet album, dont il est le directeur musical. Habitué des projets hors norme et hybrides, il a su comprendre les attentes de Dorsaf Hamdani et apporter sa touche personnelle. N’étant spécialiste ni de Barbara ni de Fairouz, il n’a souffert d’aucune autocensure et s’est affranchi de tout dogmatisme, traitant de la même manière les chansons de l’une et de l’autre. Le résultat est époustouflant : un dépouillement pour aller à l’essentiel. Les silences, l’air et l’espace deviennent l’écrin qui recueille la voix chaude et soyeuse de Dorsaf. L’enjeu était de taille car l’interprète n’avait pas envie d’être vue uniquement comme une chanteuse qui reprend Barbara et Fairouz : « Je voulais sortir des sentiers battus de ma culture, introduire quelque chose dans l’interprétation. Il fallait créer un troisième élément qui n’existait pas auparavant« .

Entourée de Mohamed Lassoued au violon et au oud, de Lotfi Soua aux percussions, sans oublier les arrangements du guitariste Lucien Zerrad, Dorsaf Hamdani réussit à nous amener d’une chanson à l’autre sans que l’on distingue entre les deux univers. Le choix des titres a été réalisé avec soin, dans le souci de rapprocher les deux mondes, de les faire dialoguer. En effet, l’idée n’était pas d’établir des aller-retours mais bel et bien de montrer qu’à la poésie de Barbara répond au romantisme de Fairouz.

La mélancolie parisienne et la nostalgie levantine se révèlent alors d’une même essence pour nous toucher au plus profond. Point d’acrobaties vocales, de fioritures inutiles et d’ornements superflus : l’approche fine et épurée des musiciens associée au doux timbre de Dorsaf Hamdani s’impose comme une évidence.

Barbara-Fairouz réalise le tour de force de la réinterprétation dans l’interpénétration. L’équilibre est subtil, limpide. A chaque note les émotions affluent pour offrir des instants d’intensité précieuse. La rencontre humaine et musicale de ce trio séduit par sa singularité et l’intimité dans laquelle elle nous fait pénétrer. Elle prouve ainsi que l’on peut cultiver l’authenticité et l’audace pour toucher juste. Ici, le croisement des univers fait avant tout résonner l’universalité des sentiments chez les êtres que nous sommes, d’où que nous soyons.

Sortie : Le 18 novembre 2014 (Accords Croisés Label/ Harmonia Mundi)

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