6 films qui « disent » la guerre au cinéma : de la Palestine aux territoires

Proclamé en 1948, l’État d’Israël existe depuis 70 ans cette année. Soucieux de revenir sur les changements considérables du territoire palestinien en territoires palestiniens, nous souhaitions sortir des sentiers battus de la géopolitique pour vous proposer une sélection de films pour en redéfinir ses contours. Issus des cinémas des espaces géoculturels arabes, nous trouvions intéressant de montrer à travers six films, une liste non exhaustive, comment la fiction arrive à « dire » la guerre et les conflits, ou à exprimer des choses autrement indicibles.

Un peu d’histoire(s)…

Le 14 mai 1948 ne marque pas le début d’un conflit, encore moins celui d’une guerre mais représente la proclamation de l’État d’Israël. Cette date fait la transition avec une Palestine mandatée par les Anglais, proposée par la Société des Nations en 1920 et établie en 1923. Ce mandat a vu le jour au lendemain de la Première guerre mondiale suite à l’éclatement de l’Empire ottoman où les territoires arabophones du Proche-Orient sont partagés et administrés par les Anglais et les Français (avec l’aval des Italiens et des Russes) sous l’égide des accords Sykes-Picot en 1916. En 1947, une année avant la proclamation de l’État d’Israël par David Ben Gourion, la société des Nations Unies va « reprendre le dossier » aux Britanniques et départager la Palestine pour régler l’animosité entre les communautés juives et arabes. Sans cesse colonisée — par un empire, un royaume et, à ce jour, une démocratie parlementaire —, la Palestine est un des rares cas des espaces géo-culturels arabes à n’avoir jamais obtenue son indépendance. De nombreux films ont été réalisés sur la question et nous vous proposons de revenir avec ces derniers sur les grandes dates de l’histoire palestinienne.

Il était une fois… la Palestine

Bab el-Shams, Yousry Nasrallah, 2004

Adapté du roman éponyme (1998) du libanais Elias Khoury, publié en français aux Éditions Actes Sud, Bab el-Shams (La Porte du Soleil) est un film réalisé en 2003 et 2004 par l’égyptien Yousry Nasrallah en deux parties : Le Départ et Le Retour. L’histoire commence avec Khalil, un réfugié palestinien vivant dans le camp libanais de Chatila qui va tenter de sortir du coma Younès, un ancien combattant de la cause palestinienne. Il va revenir sur l’histoire de Younès, depuis son enfance lorsqu’il combattait les Anglais à 16 ans jusqu’à son engagement dans la Ligue Arabe pour lutter contre l’oppression israélienne, et poursuivre tout au long de son combat pour rendre à son pays l’indépendance qu’elle mérite. Cet échange à sens unique est un prétexte pour revenir sur 50 années d’histoires palestinienne jusqu’aux négociations de paix avec les accords d’Oslo en 1993. Entre autre en compétition au festival de Cannes en 2004, le film a notamment été présenté dans beaucoup d’autres festivals dans le monde et arbore un excellent casting avec notamment Hiam Abbass dans le rôle de Oum Younès et l’incroyable Rim Turki dans celui de Nahila.

 

Les représentations cinématographiques d’événements en événements

La Nakba ou l’exode palestinien de 1948

al-Makhdu’un, Tewfik Saleh, 1972

Si Bab el-Shams dresse un panorama de la Palestine depuis le mandat britannique, d’autres films vont se pencher sur des détails plus précis de l’histoire palestinienne. Adapté de la très célèbre nouvelle de Ghassan Kanafani Des Hommes dans le Soleil (1963), publiée en français dans un recueil aux Éditions Actes Sud, al-Makhdu’un (Les Dupes) relate la Nakba, la catastrophe de 1948 évoquée plus haut, et l’exode palestinien qui suivit. al-Makhdu’un est un film réalisé en 1972 par l’égyptien Tewfik Saleh, produit par le gouvernement syrien et tourné en Irak. C’est l’histoire de trois Palestiniens souhaitant émigrer au Koweït et qui vont tenter de traverser la frontière en faisant confiance à un chauffeur de camion citerne. Aly el-Choubachy en a fait une très belle critique dans le Monde Diplomatique :

Le film symbolise la duperie dont le peuple palestinien a été victime depuis 1948. Mais les symboles vont plus loin à travers quelques images : le Palestinien moyen qui rêve d’une maison à toit de béton ; la femme unijambiste et d’un certain âge dont personne ne veut ; l’enseignant qui ne sait pas prier mais qui sait mourir, l’arme à la main, en défendant la terre ; le chauffeur castré qui conduit le camion-citerne à travers le désert.

 Le film est en trois parties avec une première historique relatant les faits de la Nakba, une deuxième où les Palestiniens nous expliquent leurs déterminations à se rendre au Koweït et une dernière où ils trouveront la mort. La narration du film de Saleh tout comme dans la nouvelle de Kanafani est sobre mais pas des moins efficaces où la  tromperie — caractéristique du pouvoir et des élites gouvernantes — aura toujours gain de cause.

La Guerre des Six Jours – 1967

Annemarie Jacir effectue un bond dans le temps avec When I Saw You (2012) et met en scène les événements de la Guerre des Six Jours de 1967. En plus de causer de nombreux morts, cet épisode a entraîné une forte exode suite à l’annexion par les forces israéliennes du Golan syrien, du Sinaï égyptien, de la bande de Gaza sous administration égyptienne et de la Cisjordanie annexée par la Jordanie depuis les années 50. La réalisatrice palestinienne narre cette période de l’histoire à travers les yeux du jeune Tarek qui s’enfuit d’un camp jordanien pour retourner dans « son pays ».

L’enfant refuse de vivre dans un camp de Jordanie et s’enfuit pour regagner son village d’origine, de l’autre côté de la frontière qui vient d’être tracée. Dans sa fuite, il est recueilli par un groupe de fedayin dont il partage bientôt le quotidien. (Estelle Sohier et Clémence Lehec)

En plus de la beauté de sa mise en scène When I Saw You aborde à travers le jeune Tarek la question de l’exil et du droit au retour des réfugiés palestiniens et de leurs descendants. Son expérience remet à jour les problématiques qui touchent tous les Palestiniens, y compris la réalisatrice, qui ne peuvent pas retourner sur leurs terres.

Première Intifada – 1987-1993

Les 18 Fugitives, Amer Shomali et Paul Cowan, 2014

Évoquer la première Intifada avec les 18 Fugitives est une idée des plus brillantes. Ce film a été réalisé par Amer Shomali et Paul Cowan en 2014 et mêle des animations en stop-motion, des dessins originaux et des images d’archives pour raconter l’histoire des militants qui ont mis en œuvre une coopérative laitière dans le but de boycotter les produits israéliens.

Je voulais faire des vaches le personnage principal. Je pense qu’il est plus facile de sympathiser avec une vache qu’avec un Palestinien. À travers les vaches, il était possible de comprendre ce qu’est vivre sous l’occupation. En fait, c’est une « vache de Troie », nous confie Amer Shomali lors d’un entretien avec Marie Cailletet.

Dans leur film, Amer Shomali et Paul Cowan vont à la rencontre des personnes qui ont contribué à mettre en place cette alternative locale. En adoptant cette démarche, ils décident de rendre hommage à l’ingéniosité de leur résistance pacifique et immortalisent une petite strate de l’histoire palestinienne.

Deuxième Intifada – 2000-2005

Pour un Seul de Mes Deux Yeux (Nekam Achat Mishtey Eynay) de l’Israélien Avi Mograbi est un documentaire réalisé en 2005. En revenant sur les légendes de Samson et de Massada, deux des mythes fondateurs de l’État d’Israël, Avi Mograbi confronte l’extrême violence de la deuxième intifada.

La légende de Samson raconte comment ce héros mi-homme mi-dieu a été juge d’Israël pendant une vingtaine d’années et délivra le royaume des Philistins :

Il y aurait eu à l’origine un héros profane auteur d’exploits grâce à la force détenue dans ses cheveux. On aurait expliqué plus tard ses exploits par la présence de l’esprit de Yhwh en lui. Ensuite, on aurait fait le lien entre le héros chevelu et les nezirîm, consacrés à Yhwh et devant laisser leurs cheveux longs. Enfin, on aurait fait de Samson un juge délivrant Israël des Philistins : le héros local serait devenu héros national. La reconstruction peut sembler trop limpide mais elle permet de donner une explication plausible à une figure si peu biblique (Christophe Lemardelé).

Massada est un site historique presque inaccessible situé au sommet d’une montagne sur un socle granitique. Dominant la mer Morte, une forteresse y fut construite par les Hasmonéens, au début du Ier siècle avant J.C. La légende raconte qu’en 66, un groupe de rebelles juifs vainquit les romains à Massada et s’y établirent. En 73, le gouverneur romain Flavius Silva attaqua Massada et réussit à y faire pénétrer son armée. Plutôt que d’être pris vivants, les défenseurs décidèrent de se donner la mort.

Les Romains, je le sais bien, seront affligés de n’être pas les maîtres de nos personnes et d’être frustrés de tout gain. Laissons seulement les vivres ; ceux-ci témoigneront pour les morts que ce n’est pas la disette qui nous a vaincus, mais que, fidèles à notre résolution première, nous avons préféré la mort à la servitude (Prise de Massada, Flavius Josephe, guerre des Juifs, livre VII).

La figure du héros vengeur et l’insoumission face à l’oppresseur sont deux éléments qui ont considérablement forgé l’identité nationale et la légitimation de l’état moderne israélien. Le réalisateur revient avec brio sur ces légendes en les confrontant avec la réalité des affrontements entre les deux peuples.

Une Palestine futuriste

La production artistique de Larissa Sansour a toujours été orienté vers la Palestine en utilisant principalement le médium vidéographique souvent mis en installation avec des objets lors de ses expositions. En 2015, elle réalise avec Søren Lind In the Future They Ate From the Finest Porcelain pour aborder des thématiques liées à l’histoire et l’archéologie de son pays. Au sein d’un récit d’anticipation, un groupe de « résistance narrative » a pour objectif de larguer par voie aérienne de la porcelaine arborant le motif du keffieh. Ce motif noir et blanc est principalement porté par les Palestiniens mais le scénario nous invite à imaginer qu’il appartiendrait ici à une civilisation imaginée. Ainsi, en disséminant cette porcelaine, le groupe de résistance influence l’histoire et s’adonne à une spéculation nationaliste concernant la légitimation d’un territoire qui serait le leur mais en proie à la disparition. Une fois déterrée, cette vaisselle attestera l’existence du peuple, créant de ce fait l’historicisation d’une nation.

Nous comprenons très vite l’idéologie du groupe de résistance narrative grâce au dialogue hors-champ entre une psychiatre et la chef du groupuscule, interprétée par Pooneh Hajimohammadi. En s’inspirant de certains codes de la science-fiction, l’artiste renverse la colonisation israélienne sur les territoires palestiniens — l’artefact palestinien remplace la relique de l’Ancien Testament. En mêlant le mythe et la fiction pour parler de faits, l’artiste intervient directement sur l’histoire de la Palestine par la dissémination en réponse à la construction de l’histoire d’Israël. Son film combine des images de synthèse et des captations directes pour explorer l’archéologie et le politique de l’histoire officielle, sa subjectivité et l’appartenance nationale à travers les concepts de vérité, de témoignage et d’héroïsme. Ensemble, tous ces éléments agencent une complexité narrative qui ouvre non pas au révisionnisme mais à la spéculation.

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