Que rêve-t-on d’être au Maroc ? Qu’aspire-t-on à devenir, et combien parmi nous ont-ils réellement choisi ce qu’ils sont devenus ? Dans quelle mesure la profession définit-elle ce que nous sommes ? Choisissons-nous librement notre parcours de vie ? Voici les questions auxquelles le photographe M’hammed Kilito tente de répondre.
Dans la série photographique Destinées de M’hammed Kilito, les rêves ont le poids de nos vies. Ses clichés matérialisent un ailleurs fait d’espoirs et d’attentes, et donnent vie à des rêves souvent désenchantés et jamais concrétisés. A travers des diptyques, le photographe confronte les dualités rêve et réalité, identité sociale et identité personnelle.
Portraits et parcours de vie
Destinées retrace différents parcours de vie, des périples et combats personnels, souvent désillusionnés, parfois victorieux. Ceux-ci sont souvent dessinés par des conditions de vie, des changements ou des tournures qui leur font prendre un chemin différent.
M’hammed Kilito est allé à la rencontre de personnes de différentes catégories sociales et de différentes origines. Il a entretenu plusieurs discussions avec eux, pour ensuite les prendre en photos : d’abord dans leur environnement de travail et leur situation actuels, puis en les mettant en scène dans la profession qu’ils auraient souhaité exercer.
Il était important pour moi que le projet inclue les différentes catégories sociales pour qu’il soit représentatif du Maroc d’aujourd’hui
Narratrice et poignante, Destinées raconte les regards et soulève les silences et les non-dits. En marge des photographies en diptyque, elle donne voix aussi à ses sujets, à travers une installation sonore qui fait résonner leurs histoires. Le photographe nous plonge dans l’intériorité de ses personnages : l’apparence s’efface, nous découvrons les visages par leur histoire et leur moi profond, au-delà de leur situation actuelle, qui ne suffit plus à les définir. Au fil des clichés, les décors revêtent aussi un autre sens et se dévoilent par le prisme de ces personnes.
Les espoirs sont pour la plupart dégrisés par une réalité dure et des conditions douloureuses, pourtant une étrange sérénité règne sur les portraits, dont les regards semblent faire preuve d’acceptation et de patience.
Il y a par exemple, l’histoire d’El Ghazi, photographe qui travaille pendant 45 ans au boulevard Mohammed V à Rabat. Plus jeune, il avait pour ambition de devenir fonctionnaire mais par manque de moyens, il a dû quitter l’école très tôt. Mais aussi, le portrait émouvant de Youssef, qui a dû renoncer à l’agriculture à cause d’une maladie grave et d’une perte de mémoire, et qui a su trouver consolation dans la mer et la pêche. La comédienne Fatima Zohra Lahouitar, quant à elle, a choisi de changer de vocation, en laissant tomber la scénographie pour devenir comédienne.
Entre déterminisme social et réalité de l’emploi au Maroc
Le travail documentaire de M’hammed Kilito explore la notion de déterminisme sociale : un concept en sociologie qui considère que l’Homme est déterminé par son environnement, ses conditions de vie et l’éducation qu’il reçoit. Nos choix individuels seraient régis par une mémoire inconsciente et par la pression sociale qui influencerait nos choix de carrière.
En se basant sur les recherches de Pierre Bourdieu et d’Emile Durkheim, Kilito a cherché à vérifier la véracité du déterminisme social au Maroc. Le constat est amer. Parmi la plupart des personnes rencontrées, seules deux femmes ont pu faire ce à quoi elles aspiraient. Il en ressort avec la conclusion suivante :
Malheureusement, la part de déterminisme social est assez importante. Pour les moins aisés et les moins instruits, le déterminisme social est souvent accompagné de déterminisme économique – M’hammed Kilito