Dar El-Nimer dévoile l’encre de ses manuscrits : Midad, les vies publiques et intimes de la calligraphie arabe

Midad, (Encre en arabe), The Public and Intimate Lives of Arabic Calligraphy écrit, depuis le 12 avril dernier, une nouvelle page de l’histoire de la jeune fondation Dar El-Nimer for arts and culture de Beyrouth.

Vue de Dar El-Nimer

Cette exposition inaugurale invite, pendant six mois, à découvrir les plus beaux chefs-d’œuvre de la calligraphie arabe de la collection El-Nimer, accompagnés d’un très riche programme qui saura propulser, sans aucun doute, la fondation sur le devant de la scène culturelle libanaise.

Un nouveau chapitre de l’Histoire de Dar El-Nimer

 Dar El-Nimer a ouvert ses portes au printemps 2016 sur l’initiative du Palestinien Rami El-Nimer à la tête d’une abondante collection d’oeuvres d’art très diverses. Si les premiers évènements qui ont animé l’ouverture de la fondation (At the seams (1) / Qalandiya international III (2)) étaient le produit de collaborations avec d’autres institutions, pour la première fois, Dar El-Nimer présente au public une sélection de sa collection.

Rami El-Nimer, collectionneur depuis toujours et passionné dans ses jeunes années d’art ottoman islamique notamment du XVIIème siècle, a également, au fil des décennies, mis sa fougue collectrice au service de la préservation d’un patrimoine palestinien qu’il « ne connaît que de mémoire », pour lequel il se passionne à travers des documents officiels, le soutien de la création moderne et contemporaine ou encore l’élaboration d’une très rare collection d’icônes chrétiennes. « Pour moi Jérusalem est le centre du monde ».

Part la plus importante de la collection El-Nimer, la calligraphie arabe se devait d’être le sujet de la première exposition de la fondation. Projet préexistant à l’établissement, cette idée d’exposition représentait un évènement très cher aux yeux du collectionneur qui avait à coeur de présenter ce qui selon lui est « la première forme d’art » à savoir les lettres arabes. Ainsi une centaine d’objets soigneusement choisis incluant manuscrits, folios, pièces de textiles ou encore céramiques retracent avec ambition une histoire de la calligraphie arabe qui se détache des bornes chronologiques et géographiques qu’on souhaite souvent lui prêter.

Vue de l’exposition / Courtesy : Dar El-Nimer

Une Histoire de la calligraphie en réécriture

Rachel Dedman, curatrice de l’exposition, s’est vue confiée la vaste tâche de réouvrir les pages des manuscrits de Rami El-Nimer et d’en révéler toute leur richesse. Se développant sur une période du VIIIème siècle au XXème siècle, et sur une aire géographique du monde arabe à l’extrême orient, l’exposition devait d’incarner la vision thématique de sa collection. En réponse à cette méthode, Midad révèle les vérités de la calligraphie arabe en identifiant l’histoire personnelle de chaque objet, ancré dans une évolution générale de l’Histoire de la calligraphie plutôt que de les replacer dans des contextes historico-géographiques réducteurs. Ainsi, Dedman nous confie avoir voulu mettre en avant, l’évolution des objets eux-mêmes qui ont parfois subi des transformations au fil des siècles. Elle nous présente ainsi une pièce qui lui est très chère, un Coran ottoman qui renferme un palimpseste, au centre on peut identifier un extrait de calligraphie datant du XVIème siècle a qui l’on a prêté de nouvelles bordures au XIXème siècle. L’idée est d’éclairer les vies successives d’un manuscrit. 

The Slave Qu’ran (XVIII), Ayuba Suleiman Diallo / Courtesy : Dar El-Nimer

Autre objet phare de la collection, un Coran dit de l’Esclave (Slave Qu’ran) écrit par Ayuba Suleiman Diallo (1702-1773), fait esclave alors qu’originaire d’une riche famille sénégalaise, il copierait pendant sa captivité, trois exemplaires du texte coranique de mémoire. Passé presque inaperçu en maison de ventes aux enchères, cet objet est aujourd’hui un chef d’oeuvre de la collection El-Nimer.

Proposant un nouveau regard sur une discipline qu’on pensait déjà connaître dans les musées, l’exposition affirme son originalité en évoquant bien plus que l’évolution d’une écriture mais aussi les aspects sensoriels, mystiques, politiques ou encore religieux de cet art. Midad vient également rendre hommage aux scribes, maîtres de la calligraphies mais aussi aux lecteurs de ces lettres qui ont donné vie à des pensées et des mots. De très belles vidéos réalisées par Ramzi Hibri apportent un regard dynamique aussi bien sur la pratique que sur les objets calligraphiques. 

Vue du mur de Lawhat de l’exposition / Courtesy : Dar El-Nimer

Ainsi, l’exposition suit un parcours thématique exhaustif opposant les vies publiques et intimes de la calligraphie arabe -à l’instar du sous-titre de l’exposition – mais interroge également l’évolution de la discipline en prenant en compte la postérité et les transformations de cet art bien au-delà de ses acceptations classiques. Alain Fouad George, docteur en arts de l’Islam de l’Université d’Edimbourg et commissaire de l’exposition exposait dans une conférence inaugurale « A Brief history of arabic calligraphy through El-Nimer Collection »  cette vision de la calligraphie dont l’existence a débuté entre le IVème et VIème siècle et qui connaît, aujourd’hui, un renouveau à travers l’art contemporain.

A ce titre, en tandem, Alain George et Rachel Dedman ont veillé à n’omettre aucun pan de l’évolution de la calligraphie à l’instar des débuts de l’imprimerie ou la production de masse illustrée par un impressionnant mur tapissé des plus beaux exemples de Lawhat de la collection. Relevons la qualité de la scénographie, exécutée par Farah Fayyad et Hussein Nassereddine, soignée et visuelle, elle permet de percuter le regard du spectateur.

Un évènement pour la calligraphie arabe

Bien plus qu’une exposition, Midad s’investit comme un évènement dans l’évolution de la calligraphie en proposant de renouveler les formes de la calligraphie.

The Book of Six Directions – Raed Yassin / Courtesy : Dar El-Nimer

Occupant le second étage de la fondation, 5 oeuvres de commande pour l’exposition réalisées par des artistes contemporains actifs au Liban proposent d’élargir la réflexion engagée au rez de chaussée, à la lumière de la collection El-Nimer. Marwan Rechmaoui, Roy Samaha, Mounira al-Solh, Jana Traboulsi et Raed Yassin offrent un nouveau prolongement à l’Histoire de la calligraphie arabe. Leurs oeuvres devaient offrir un aperçu global sur les oeuvres de la collection El-Nimer ou bien se concentrer sur un objet unique choisi. Libres dans leurs recherches auprès de la collection et de leurs idées, la curatrice Rachel Dedman a pu orienter les artistes pour appuyer historiquement et contextuellement l’élaboration de ses oeuvres d’art. En ressortent des réponses autant captivantes qu’étonnantes interrogeant les fonctions talismaniques de la calligraphie, son expansion géographique ou encore son évolution physique et matérielle. Le spectateur est de fait directement invité à intérioriser ses découvertes face aux réinterprétations contemporaines. Soulignons à titre d’exemple l’hypnotique vidéo de Roy Samaha  » A book of six directions » qui vient donner vie à l’un des objets les plus étonnants de l’exposition, un livre talismanique datant de 1870 qui se déplie d’infinies manières en rythme avec une voix lointaine qui semble réciter au creux de notre oreille ce qu’enferme l’objet. 

Vue de l’exposition

En plus de ce propos contemporain, Midad est l’occasion de réunir les amateurs et novices de la discipline pendant les six prochains mois autour de tables rondes ou encore d’ateliers pour petits et grands dans un souci de transmission propre au Dar El-Nimer. Selon Rami El-Nimer « il faut montrer l’importance de la calligraphie arabe pour la mémoire mais aussi pour comprendre l’art contemporain ». Au programme, entre autre, un atelier de calligraphie zoomorphe pour les enfants (3), un atelier de création de palimpsestes ouvert à tous (4) ou encore un séminaire ouvert aux étudiants ou professionnels pour la  création d’un livre de poésie typographique sous la tutelle du célèbre graphic designer iranien Reza Abedini (5) parmi d’autres. 

Ces évènements sont aussi l’occasion pour le Dar El-Nimer de définitivement s’ancrer comme un centre culturel majeur de Beyrouth et du Moyen-Orient. Notre collectionneur souhaite faire de ce lieu une plateforme à la fois pour les artistes au Liban mais également pour les Palestiniens du monde entier qu’il veut rendre fiers de leur nation. Ce brillant chapitre de l’histoire du Dar El-Nimer viendra se refermer par la publication du catalogue de l’exposition prévu en Septembre 2017, première publication pour la fondation. 


(1) At The Seams (26/06 – 30/07 2016)

(2) See of Stories / Qalandiya International III (5/10 – 15/11 2016)

(3) Birds of Letter, Flock Together, Ghaleb Hawila, Samedi 29 Avril (10h à 12h) et Samedi 13 Mai (10h à 12h), 15 000 LBP

(4) The Reversed, Chafa Ghaddar, Vendredi 5 Mai (18h30 à 20h30) et Samedi 6 Mai (10h à 13h), 50 000 LBP

(5) Typoem, Reza Abedini, Du Lundi 3 Juillet au Vendredi 7 Juillet de 10h à 13h, 200 000 LBP

Pour retrouver l’intégrale du programme des publics : cliquez ici 


Midad, The Public and Intimate Lives of Arabic Calligraphy, Du 12 Avril 2017 au 12 Octobre 2017

Dar El-Nimer for arts and culture,  America Street, Clemenceau, Beirut, Lebanon

Ouvert de Lundi à Samedi, de 11h à 19h.