À l’occasion du salon international d’art contemporain africain – 1:54 Marrakech – , les 24 et 25 février prochain, la Loft Art galerie présente les derniers travaux du photographe marocain Hicham Benohoud. Avec la série « Landscaping », l’artiste s’improvise architecte des paysages désertiques du Sahara. L’occasion pour Onorient de vous présenter cet artiste étonnant et incontournable de la photographie contemporaine marocaine, qui avait déjà attiré notre attention.
“Savez-vous qu’il est plus simple au Maroc de trouer les murs d’une maison, que de faire entrer un âne dans son salon? ” s’interroge le photographe Hicham Benohoud.
Cette observation fait directement référence aux défis qu’il a relevés pour les séries photographiques Hole et Âne in situ. Elle est aussi une forme d’introduction à sa démarche artistique. Formé aux arts plastiques, habitué à l’auto-portrait et à l’introspection, Hicham Benohoud aime questionner les limites du raisonnable. Il puise son énergie dans l’exploration de moments troubles, de situations parfois impensables, et dans les négociations qu’elles génèrent. Ces tensions passionnent l’artiste.
Au Maroc, les rapports de force sont très marqués. Il y a ce qu’on est autorisé à faire, et ce qu’on ne fait pas. Il n’y a pas vraiment de zone grise
C’est donc dans cet espace qu’Hicham Benohoud aime installer ses projets, avec calme et aplomb.
Pour la série Hole, l’artiste démarche à Marrakech une dizaine de familles. Accompagné d’une équipe de maçons, peintres et carreleurs, il entreprend de trouer les cloisons des personnes qui l’accueillent comme mise en scène préalable à ses portraits. Poinçonneur récidiviste, il promet de tout reboucher une fois le travail terminé.
Le résultat est saisissant. Derrière les murs dévastés, apparaissent des personnages comme renouvelés par le désastre inventé. Avec un élan quasi cinématographique, Hicham Benohoud bouscule le quotidien, les habitudes, et nous questionne.
Je ne suis pas un photographe documentaire dans le sens où tout ce que je photographie, je le créé entièrement. Ce qui m’intéresse, c’est de créer le monde tel que je l’imagine.
Les mises en scène sont sensibles, parfois ambiguës: “La profondeur des images d’Hicham Benohoud permet une lecture à plusieurs niveaux. Alors que le public marocain a tendance à voir l’humour et la légèreté dans ses oeuvres, à l’étranger, on y décèle une forme de violence et de critique”, analyse Jacques Antoine Gannat, chargé de développement pour la Loft Art Galery Casablanca qui représente l’artiste.
Reconnu sur la scène internationale, Hicham Benohoud vit à Casablanca et propose un nouveau projet tous les deux ans. Il travaille seul, et préfère ne pas trop regarder ce qui se fait ailleurs…
J’ai parfois l’impression que j’aurais pu avoir certaines idées et cela me décourage
Il évite souvent les vernissages et consigne ses idées dans un grand cahier, à des horaires de bureau.
Né à Marrakech, dans un milieu modeste, Hicham Benohoud a d’abord été professeur d’arts plastiques pendant treize ans avant de réussir à sortir de sa salle de classe. “J’espérais donner à mes élèves les moyens de s’exprimer en toute liberté, en mettant à leur disposition des outils et techniques mais nous étions souvent prisonniers de cadres scolaires trop répétitifs et contraignants”, regrette-t-il.
Paradoxalement, ce sacerdoce est aussi sa première grande inspiration d’artiste. La série La salle de classe a été exposée et vendue à travers le monde. Parmi les centaines de clichés qu’il a réalisés pendant sa carrière d’enseignant, une cinquantaine d’images constitue le noyau de la collection.
De nombreuses critiques d’art ont vu dans cette classe, le microcosme d’une société, illustrant les rapports de force entre élèves-sujets et professeurs-dirigeants. Hicham Benohoud, n’en dira pas plus. Il n’aime pas “imposer son point de vue” ou “donner des directions trop précises”.
L’artiste doit ses premières expositions aux résidences mises en place par l’Institut français de Casablanca. “J’ai la chance de faire partie de la dernière génération de marocains francophones, avant l’arabisation des cursus scolaires, ce qui m’a ouvert pas mal de portes” précise-t-il.
De son année d’échange aux arts déco de Strasbourg en 2003, il retient le “passage invisible” entre l’Allemagne et la France, qu’il aime parcourir en bus. Une frontière douce difficilement imaginable depuis le Maroc.
Autre contraste étonnant, lors d’un voyage à Marseille, il tombe sur le défilé de la Gaypride. Un spectacle “captivant” pour un artiste originaire d’un pays où “les libertés sexuelles n’existent pas”. “Je me suis mêlé à la foule, en tout anonymat, c’était incroyablement dépaysant. En France, j’ai l’impression d’être invisible, alors qu’au Maroc, les gens me regardent” conclut-il.
Hicham Benohoud n’est pas inquiet de ce qu’on pourra dire ou écrire sur lui. Au moment de réaliser son portrait, il est plus concentré. Est-ce le professeur ou l’artiste qui scrute l’objectif? Dans cette zone grise si chère au personnage, on vous laisse la liberté de l’imaginer.