C’est sur la scène du Rocher de Palmer qu’Ibrahim Maalouf a donné rendez-vous samedi dernier au public bordelais pour une évasion musicale aux tons bien rock mais toujours avec cette touche jazzy orientale.
20h30, la salle plonge dans le noir. Sur scène, Frank Woeste s’installe à son clavier, rejoint par François Delporte le guitariste. Ils jouent les premières notes de l’intro d’Illusions. Ibrahim est invisible. Sa trompette reste muette. La foule retient son souffle, écoute religieusement et guette. Le riff de la basse se fait entendre et la longue chevelure de Laurent David accentue l’ambiance rock de la scène. Xavier Rogé fait entendre sa batterie et enfin les trompettes se manifestent. Trois trompettes qui se déchaînent… et une quatrième, celle d’Ibrahim. La fameuse trompette orientale à quart de tons inventée par son père dans les années 60. Il faut attendre Conspiracy Generation pour le voir se détacher du trio composé par Youenn Le Cam, Yann Martin et Martin Saccardy pour avancer au devant de la scène entamer un solo. Sa trompette se fait douce, comme une caresse timide pour ensuite devenir plus imposante et se lancer dans un dialogue enjoué avec le groupe des cuivres. Le musicien saute énergiquement, chauffe ses musiciens, fait des allers retours pour jouer à leurs côtés et s’éclipse pour offrir à chacun d’eux un moment de gloire, le temps d’un solo endiablé. Et le résultat de ses interactions sonores est époustouflant.
Après l’incroyable InPRESS, il abandonne sa trompette, s’approche du micro et sifflote. Oui il est entrain de siffloter un air doux, un brin enfantin. Et c’est incroyablement beau. On ferme les yeux, on est transporté, bercé par son souffle et on s’évade dans nos pensées. Une vague de douceur envahit la salle. On s’abandonne à la poésie de cet instant. Avec Nomade Slang, les rythmes orientaux s’entremêlent à un rock énervé. Les épaules se balancent, on a envie de se déhancher, on est heureux d’être là et on prie pour que le concert s’éternise. If You Wanna be a Woman nous rappelle la sensualité du jazz et le public se retrouve comme envoûté.
Quand il ne souffle pas, Ibrahim devient conteur et nous raconte des histoires, les siennes. Il nous partage ainsi l’histoire de son Beirut, cette musique composée à l’âge de 12 ans. Celle de sa première rencontre avec un Beyrouth meurtri et on se voit tous offrir une carte d’embarquement avant que ce voyage dans le temps ne commence. Les paupières se baissent et on se laisse imprégner par la beauté de ce morceau tellement élégiaque. Il nous parle ensuite de Lily et de la vie qu’il a imaginée pour elle en musique. Sa trompette commence donc par baragouiner les premiers mots incompréhensibles d’une Lily bébé puis devient plus intrépide et incarne l’adolescente qu’elle sera pour finalement souffler la vie à la femme épanouie et moderne qu’il désire qu’elle devienne. Il nous invite à l’accompagner pour fredonner la vie qu’il a rêvée pour sa Lily. Et on s’exécute touchés pour chanter cette ode à Lily.
Ibrahim clôture ses contes en nous expliquant le sens de True Sorry. Il évoque ce rêve qu’il a fait d’un vieux monsieur qui part à la quête de pardons sincères. Il commence à jouer et on voit ce vieillard évoluer dans notre imagination, déambuler et frapper aux portes pour enterrer les vieux malentendus et faire oublier les préjudices d’antan. On a l’impression que la trompette d’Ibé nous raconte l’histoire de ce vieillard, ses souvenirs, ses regrets, ses espoirs, ses désillusions et son envie d’être en paix avec chaque personne ayant croisé son chemin un jour. Standing Ovation pour le virtuose, la salle est émue, refuse de le quitter encore et deux rappels prolongent cette rencontre.
La cornemuse retentit accompagnée tendrement des chœurs de trompettes et de la batterie. La foule s’enflamme. Elle ne croit pas ses oreilles. Elle crie, elle danse, elle tape des mains. La basse et la guitare électriques se mêlent à la fête. Le talent incontestable de notre artiste et ses musiciens offrent un dernier moment de pur bonheur acoustique.