Chroniques d’une révolution orpheline : combattre l’effacement

©Vincent Arbelet

Jusqu’au samedi 10 février, Leyla-Claire Rabih présente à la MC 93 à Bobigny, ses Chroniques d’une révolution orpheline. A partir de trois textes de Mohamed Al Attar, la metteure en scène nous transporte au commencement de la révolte syrienne, dans le choc des premières répressions et des rêves brisés de liberté.

 

Une séparation

Darori – ضروري. Le mot s’échappe de la bouche d’un des comédiens. Certains mots résonnent plus que les autres. Même, ou surtout, dans les langues qui ne nous sont pas familières. Dans le premier tableau de la pièce, un couple, un homme et une femme, sont séparés et s’écrivent entre Damas et Paris. Leur correspondance électronique est lue, à la fois en arabe et en français.

Où es-tu ? J’ai essayé de t’appeler hier, tu n’as pas répondu

Des mots simples, mais qui traduisent un quotidien bouleversé par un enthousiasme très tôt remplacé par la peur. Avec la séparation, ce qui est important, nécessaire – darori – nous saute au visage. Dans ce premier tableau, les échanges des deux étudiants sont déclamés face au public, dans la plus grande sobriété.

Disparitions, arrestations et tortures – en quête de preuve

Deuxième tableau. Des témoignages sont recueillis face caméra. Et durant toute la représentation, la thématique de la documentation et de la « compilation » des faits prend sa place, tranquillement. Une longue table, qui se remplira de photos, coupures de journaux et autres cartes, meuble la scène. Les lampes intérieures lui donnent l’aspect de ces panneaux liseurs de radiographies, ou des supports de travail de la police scientifique. Leyla-Claire Rabih, s’y affaire, soucieuse, fébrile.

« Le seul lien narratif qui nous semblait évident était que ce soit moi qui raconte l’histoire, nous dit-elle. On a cherché des formes, sans mettre un narrateur au sens classique, pour que le lien entre les trois textes [de Mohamed Al Attar] se fasse et, c’est l’obsession, tout à fait personnelle, ou la nécessité de compiler tous les articles, toutes les vidéos et toutes les preuves de ce qu’il se passait qui fait ce lien. Bien entendu, je n’ai pas du tout une position d’universitaire ou de scientifique sur ces questions-là, c’est un intérêt personnel, et de citoyen. »

©Vincent Arbelet

Face à cette idée fixe, on ne peut s’empêcher de demander à la metteure en scène, si c’est la peur – et si oui, laquelle – qui nourrit son obsession.

« Oui. Effectivement. La peur de l’oubli, la peur de l’impunité et de la disparition d’un pays. J’ai envie de dire qu’il s’est passé à Alep ce qu’il s’est passé à Grozny en 1995.»

On a écrasé une ville, une révolte et l’élan révolutionnaire d’un peuple et il y a une normalisation. On efface. On ne sait rien des représailles qui ont pu avoir lieu à Alep après la reprise de la ville l’année dernière. On ne sait rien de ce qu’ont vécu les populations. C’est la question de la disparition des gens, des mémoires, de l’histoire et de la civilisation.

La fiction a besoin du réel et vice versa

En 2009, Leyla-Claire fait un voyage de long de l’Euphrate. Comme un clin d’œil dramatique, elle découvre, en prenant connaissance du troisième texte de Mohamed Al Attar, que ce voyage est aussi le trajet qu’emprunte son personnage.

Le troisième tableau sera donc un entremêlement de films d’archives de la révolution, de fiction, d’improvisation sur scène, et de documents personnels. C’est un moyen pour expliquer au spectateur que si certaines choses racontées sont fictionnelles, elles pourraient être vraies et surtout qu’elles « aident à comprendre ce qui est vrai ». Car l’effacement des humains, c’est aussi l’effacement des preuves ; et c’est la création – l’arme pacifique de l’artiste – qui tente de combattre, et d’empêcher comme elle peut, la machine de terminer son travail.

©Grenier Neuf

Reste cette question, que l’on se pose à soi-même à la fin de la représentation, lorsque l’on se retrouve face à une chaise vide, dans l’attente d’une trace des personnages que nous avons suivi pendant 2 heures. Sont-ils vivants ? Mais où sont-ils ? Nos yeux balayent le sol et la salle à la recherche d’une information, en vain. Avec sa réponse, راحو ils sont partis, Fairouz ne résout rien, mais elle enveloppe de sa voix chaude comme pour consoler les âmes blessées.

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