La conteuse égyptienne Chirine El ansary s’est confiée à ONORIENT durant une interview marathon entre deux représentations le 24 mai durant la 9e édition du Festival Arabesques à Montpellier. Elle y relate sa vie en Égypte, son éveil et son évolution artistique, passant du Caire à Paris avec toujours cette viscérale attraction pour l’histoire et la culture de son pays d’origine.
Racontez-nous votre parcours, comment tout ça a commencé ?
Je suis née en Egypte en 1971. Certes, ça ne fait pas très bien de dire son âge de nos jours mais, je pense que c’est important car ce qui se passe historiquement dans un pays a souvent une influence sur le parcours artistique. J’ai vécu en Egypte puis je suis partie en Algérie, pour ensuite la quitter pour la France, avant de retourner au Caire où j’ai étudié le théâtre à l’Université américaine.
Vous donniez aussi des cours ?
Oui, à cette époque-là, on avait vraiment carte blanche, c’était un nouveau département, un nouveau théâtre et on était peu nombreux. On a créé le département de toutes pièces et avions l’embarras du choix quant au contenu de nos pièces. Danse, poésie, contes réadaptés : je me faisais plaisir sur les formes à partir desquelles j’élaborais mon travail, en plus de contribuer parallèlement au théâtre du mouvement en pleine expansion à cette époque. C’était une période juste extraordinaire au Caire, l’Opéra venait d’ouvrir vers la fin des années 80 et il y avait des artistes qui venaient de partout pour présenter des spectacles.
Souvent, quand ils voulaient rester plus longtemps au Caire, ils proposaient des stages aux jeunes artistes égyptiens, et comme il n’y avait pas beaucoup de public, l’appel se faisait dans toutes les facs et universités. On était donc les premiers à y aller car on bénéficiait de plus de liberté que dans les autres universités. On avait tous besoin de se rebeller contre nos parents, mais c’était plus facile pour nous que dans d’autres milieux plus conservateurs.
Vous êtes plutôt pluridisciplinaire, j’ai lu que vous pratiquiez le yoga et le tai-chi…
J’ai essayé plein de choses car je ressentais le besoin d’avoir une aisance avec mon corps. J’ai fait de la danse classique adulte de manière très intensive, par exemple. Tout ce qui pouvait m’apprendre quelque chose sur mon corps m’intéressait. J’ai aussi beaucoup travaillé ma voix, beaucoup étudié Shakespeare. On avait des profs tellement éclectiques que je me suis même essayée au cirque !
Et après ?
Après, j’ai atterri chez Jacques Le Cof à Paris, j’avais une bourse mais je n’y suis restée qu’une année, car c’était très cher pour quelqu’un qui, comme moi, venait d’un pays plutôt pauvre comme l’Egypte. Les sélections étaient très rudes et les normes très pesantes. Ils ont du mal avec ceux qui sortent du schéma classique. Par la suite, je suis retournée au Caire et j’ai entrepris une série de voyages en Egypte. Je suis allée dans des villes et des villages avec l’ambition d’explorer le pays jusqu’au moindre recoin. Je montais mes propres solos, en plus d’être comédienne dans une troupe de théâtre indépendant. J’ai eu beaucoup de chance car j’ai rencontré une voyageuse néerlandaise, une femme très particulière, elle avait été journaliste et avait décidé de tout larguer à 40 ans pour devenir voyageuse dans le désert. Elle l’explorait amoureusement, à dos de dromadaire, des mois durant. A un moment donné elle s’est mise à écrire un livre sur l’oasis d’Al-Farafra, une toute petite oasis. Elle cherchait quelqu’un pour partir avec elle afin de l’aider à s’intégrer dans les familles locales car elle ne parlait pas arabe. J’ai alors accepté la proposition, à condition que je puisse faire mes spectacles dans l’oasis, dans les jardins, dans les écoles. C’est ainsi que j’ai découvert un amour pour le désert, j’ai pu roder, errer, m’autonomiser en quelque sorte. J’étais libre.
Pourquoi avoir choisi les contes ? C’était quoi le déclic ?
Le déclic s’est fait il y a très longtemps parce que j’ai toujours apprécié écouter les histoires de ma grand mère, les récits de vie des gens. Depuis toute petite, j’ai des oreilles démesurément grandes, j’écoutais toujours avec attention et je mélangeais réel et fiction quand je racontais l’histoire des autres. A un moment, c’est devenue une évidence. A l’université, je me suis rendue compte que j’étais atypique. Quand on montait une pièce de théâtre, mon bonheur n’était pas d’avoir le rôle principal, mais d’avoir un rôle qui me permettait de créer, bidouiller, adapter. Pour mon projet de fin d’études, j’ai conçu tout mon spectacle autour d’un arbre, j’ai fait une mise en scène de ma loge, pour que les gens me voient me changer, car c’est sublime une loge. J’ai souvent été critiquée pour ça là-bas, mais quand je suis allée en France, ça ne s’est pas amélioré du tout, bien au contraire. Puis je suis retournée en Egypte en me disant tant pis, autant oser !
Vous avez alors commencé à utiliser les Milles et une nuits !
C’était un peu une blague au début, je connaissais des arabisants à Paris qui m’ont fait découvrir ma culture de manière très pure, sans orientalisme. J’ai commencé à lire en me disant que j’allais les raconter dans la rue, les parcs, pour gagner un peu d’argent. Mais c’était une blague, parce que les Milles et une nuits, c’est un vrai labyrinthe. J’ai été happée par ce labyrinthe, j’ai lu des versions différentes de chaque histoire qui m’intéressait, et j’ai apprécié me perdre là-dedans. Je suis retournée en Egypte et j’ai commencé à hanter les bibliothèques nationales avec des gants blancs pour étudier les anciens manuscrits, essayer de comprendre l’Egypte ancienne, les descriptions du monde à travers la vision des voyageurs Ibn Batouta et Ibn Khaldoun. Ce travail m’a complètement transformée. Depuis, j’essaie continuellement d’ouvrir les portes et d’aller plus loin.
Parlez-nous un peu de Non retour, votre dernière pièce…
Non retour est dans la continuité de ce que j’ai fait avant. On me disait que je ne devais pas passer toute ma vie à faire les Mille et une nuits alors que ces contes sont mon école d’écriture. Cela voulait dire qu’à force, j’allais pouvoir mettre tout ça de côté après l’avoir analysé et me mettre à écrire mes propres textes. J’ai donc planché sur l’écriture de Non retour en 2004, et je l’ai montée en 2012. J’ai réalisé un voyage pèlerinage vers le Bénin, je m’intéressais à l’esclavage mais pas dans la dénonciation. Ce qui m’intéressait, c’était la notion d’emprisonnement, d’évasion. Sur ce parcours-là, j’ai croisé Harry Houdini, qui est une personne fascinante. Il a passé toute sa vie à mettre en scène ce passage, ce non-retour. Je me suis inspirée du livre d’Adam Phillips qui a écrit La boîte de Houdini et travaillé avec des patients qui essaient de reproduire ce moment. J’ai commencé à écrire plein de choses différentes sur des personnages historiques, imaginaires avant de faire ma sélection.
Quels défis se posent actuellement aux conteurs ?
Il n’y a pas de défi par rapport au public, le défi se trouve plus, pour moi, par rapport à l’institution du monde du spectacle. Le défi c’est de rester soi même alors qu’on tente de nous mettre de force dans des cases. Un conteur traditionnel, ça n’existe pas, c’est du pipeau absolu. A son époque, ce conteur était moderne. C’est nous qui faisons des projections en voulant en faire une histoire traditionnelle. Donc finalement, le conteur c’est l’instant, raconter l’instant et le rapport direct, vital et viscéral avec le public. A partir du moment où on est cette immédiateté, on est moderne car on est en train d’inventer ce qu’on est en train de faire.