Charlie Hebdo, martyr de la liberté

Détail de la couverture du numéro 1012 de Charlie Hebdo. Crédit : Charlie Hebdo

Charlie Hebdo a payé le prix de sa liberté de ton et de parole. En jouissant de leur droit à s’exprimer librement, sans doute les caricaturistes de l’hebdomadaire étaient-ils loin de s’imaginer que leur sang coulerait pour cela, mais également celui des policiers, et des 12 personnes au total qui ont eu le malheur de croiser les deux tireurs de ce bien triste mercredi 7 janvier 2015.

Que des mots ou caricatures dudit magazine aient touché certaines sensibilités est un fait. Souvent très drôle, parfois de mauvais goût, Charlie Hebdo s’était attiré de nombreux adversaires, toutes confessions confondues. A l’heure actuelle, rares sont les médias en mesure de se poser, en pleine réunion de rédaction, la question « pourquoi pas ? ». Il devient aussi de plus en plus rare que des journalistes répondent à cette question par un simple « faisons-le ! ». Ce sont cette question et cette réponse qui reflètent à elles seules, la liberté de ton d’un support de presse. Charlie Hebdo fait partie de ces rares tribunes.

Charlie Hebdo est libre, car l’inspiration de ses journalistes et dessinateurs n’est freinée par aucune considération, à savoir toutes les éventuelles censures, toutes les sensibilités religieuses et politiques qui auraient pu être blessées, ou encore toutes les menaces de morts que recevait la rédaction. Quoique cela puisse être dérangeant, outrepasser ces limites est une avancée viable et concrète à la liberté et représente explicitement les principes d’un pays où les plumes et les crayons ne sont pas mis en laisse par les gouvernants.

La religion n’est pas au-delà de la critique, de la satire, et même de la caricature. Elle est un fait social comme un autre, qui a des répercussions sur nos sociétés, nos perceptions, nos valeurs. L’injure, la diffamation, ou l’incitation à la haine que contiendrait potentiellement une publication trouve sa réponse devant les tribunaux, pas dans le sang.
Désacraliser la religion, ce n’est pas lui manquer de respect, c’est simplement permettre à nos sociétés, à l’opinion publique, d’être attentive, alerte, de ne pas s’endormir sur une réalité qu’elle oublierait. Au-delà de la religion, considérons plus généralement que rien n’est sacré, ni dirigeants, ni dogmes, ni valeurs. Déconstruisons les discours, réapproprions les nous, adaptons les, faisons les évoluer.

Des leçons à en tirer

Chez ONORIENT, nous choisissons de nous débarrasser de toute indignation passagère, de toute réflexion subjective et immédiate à ce sujet. Nous choisissons également de nous débarrasser de toutes les théories du complot, dans un sens comme dans l’autre, car elles respirent la haine, la paranoïa et la méfiance. Au lieu de cela, nous pensons qu’il est de notre devoir d’apprendre de ce qui se passe aujourd’hui.  La liberté d’expression n’a pas d’identité, pas d’ancrage géographique, pas de couleur ni de modèle. Elle existe dès qu’une société accueille la critique comme un élément fondateur inébranlable et que chaque individu puisse en être l’acteur. Il faut donc faire advenir ce droit à la critique dans l’espace public, l’exercer, le défendre et le protéger.  Evidemment cela tient au système politique qui régit la société, sans espace public d’apparition construit de plein droit, la critique se transforme en rebellion au lieu d’être un droit naturel que l’on exerce en tant que citoyen. Mais même dans ce cas, la mission n’est pas facile pour une jeunesse en mal de repères, nourrie aux racourcis et aux simplifications médiatiques.

Ce qu’il faut avoir en tête c’est que l’incertitude de la critique est son corrélat même. L’espace public d’apparition se conquiert, il n’est jamais acquis ; nous sommes en devenir, nous avons à être blessés dans notre narcissisme pour accueillir la critique sous toutes ses formes. Il est donc crucial de surmonter les crises de la critique par la critique et de ne pas tomber dans la psychose d’une logique sécuritaire qui divise la population et nourrit les extrémismes qu’elle prétend combattre.

C’est bien pour cela que nous défendons ce droit à la critique et que nous avons foi dans le pouvoir de la culture et de l’éducation pour éviter les amalgames d’une rive à l’autre de la méditerrannée. Deux points sont à retenir.

En premier et à voir ce qui se passe en France, jamais rien de bon n’est sorti du vide. A chaque vacuité d’idées, un obscurantisme toujours de plus en plus sombre s’est imposé. Celui-ci se nourrit exclusivement d’ignorance et de colère. Ces deux ingrédients mélangés deviennent, avec le temps, des repères pour certains et plus particulièrement, pour la jeunesse. Nous ne pensons pas qu’il y a lieu de s’étonner à ce que de jeunes individus ne retiennent que violence et sang d’une religion donnée. L’absence de véritables pensées progressistes en la matière en est la cause. Une jeunesse, quelle que soit son origine, ne se satisfera jamais d’idées rafistolées, et rapiécées en fonction des circonstances.

Deuxièmement, notre relation avec la liberté doit être revue. Ce n’est ni un luxe ni un caprice que d’essayer de nous réapproprier cette idée. Nous devons garder à l’esprit que tous ceux qui souhaitent dépasser les limites n’ont pas à être considérés comme des rebelles, comme des anticonformistes qu’il faut calmer. Ces gens-là, voyons les plutôt comme de simples citoyens, qui, pensent différemment, avec lesquels nous partageons une terre et une humanité commune. Ouvrons-nous à tout juste milieu, à toute solution médiane satisfaisant les deux parties. Car, c’est avec les visions respectives de tous les sensibilités que nous établirons la plateforme démocratique et ancrerons la critique au sein de nos sociétés.

Sur de bonnes bases, nous pourrons avancer, construire, produire et évoluer.

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