Empruntant à la beauté (kallos) son harmonie et à l’écriture (graphein) sa formalité, la calligraphie arabe est originellement dédiée à délivrer le message du divin. Convertie en expression artistique, celle-ci fait des adeptes qui nous viennent de l’Orient le plus extrême.
Aux origines de la calligraphie
Cet héritage fondateur de l’art islamique rappelle la place primordiale qu’occupait l’écriture dans la religion musulmane. On raconte ainsi que le prophète imposait aux détenus lettrés d’enseigner l’écriture à dix de ses compagnons s’ils souhaitaient être libérés. Ce dernier utilisait d’ailleurs des lettres manuscrites en caractères koufiques, comme celle envoyée à l’empereur du Bahrein Almunzir Ibn Sawa, conservée aujourd’hui à Beit Al Qura’an (musée islamique d’Al Manama), pour inviter ses interlocuteurs à se convertir à l’Islam. Inutile aussi d’évoquer le verset « نون والقلم وما يسطرون » (noun wa lkalam wa ma yastoroun), de citer sourat Al-Qalam ou de rappeler la description faite dans le coran des anges chargés de rédiger les faits des hommes, qualifiés de nobles écrivains pour prouver l’importance de l’écriture dans cette religion.
Divisée en huit styles principaux, parfois durs à distinguer, la calligraphie arabe ne cesse d’évoluer au fil du temps. Son origine remonterait, selon les historiens et les archéologues, au style Nabati dont un exemple datant de l’an 328 a été retrouvé et qui embellit la tombe du roi errant, Imrou’l Qays Alkayss, située dans la région d’En-Nemara au sud de la Syrie. Ensuite, les lettres arabes ont sans doute trouvé toute leur noblesse à l’époque du Calife Othmane Ibn Affan, période où les premières versions du Coran ont été rédigées. Quatre copies furent d’abord écrites, une fût conservée à Médine (Arabie Saoudite) et les autres envoyées en Egypte, en Irak et à Bilad Acham (Liban, Syrie et Palestine actuels).
Avec l’apparition du dinar omeyyade à l’époque du calife Abd Al Malik Ibn Marouane, qui ordonna d’abandonner les pièces de Constantinople pour en frapper des nouvelles à Damas, on commença à s’appliquer pour que la première monnaie islamique produite en l’an 77 (hijir) affiche des versets coraniques dans des lettres droites et claires. L’écriture Kofi naquit quant à elle quand le califat se déplaça de Medine à Koufa. Ce style ne comprenait alors ni de points ni de vocalisation.
Ce n’est qu’à la période abbasside que le ministre Muhamed Ibn Muqla institua les règles de cet art. Il excella particulièrement dans le style du Thuluth, qu’il inventa et qui ornemente entre autres, de nos jours, l’habillement de la Kaaba et la grande mosquée de Damas. Mais son génie attisa la haine des jaloux qui montèrent le calife contre lui, ce qui poussa ce dernier à ordonner son l’emprisonnement et l’amputation de sa main. Pris de remords, le calife revint d’abord sur sa décision et demanda à ce qu’on le libère. A sa sortie, le virtuose réussit avec l’aide de ses élèves, qui attachaient un roseau à sa main coupée, à tracer d’aussi belles lignes que celles qu’il maîtrisait auparavant.
Il convient aussi de rappeler que plusieurs femmes ont apporté leur touche gracieuse à cet art ancestral si épuré. Zaineb Bt Ahmed Almakdisiyyah, Fatima Sultan, la princesse Shadi Malak ou encore Esma Ibrat ont ainsi toutes su maîtriser le tracé de ces lettres arabes pleines de volupté.
Regards d’étrangers
Par la noblesse de ses formes, le détail et la complexité de sa composition, la calligraphie arabe fascine. Quand Michel-Ange avait découvert la splendeur de l’architecture arabe et de la calligraphie qui la décore, il déclara que si la religion musulmane n’avait pas interdit la représentation figurative et la sculpture aux artistes musulmans, ils auraient sans doute également brillé dans l’art sculptural. Cette fascination l’avait d’ailleurs conduit à espérer se faire accepter comme apprenti. Picasso, quant à lui, pensait que cette même calligraphie « avait déjà presque atteint l’objectif ultime de l’art » et Baudelaire disait que « le dessin arabesque est le plus spiritualiste des dessins« . Si le rendu est toujours exceptionnel, c’est bien parce qu’un travail extrêmement minutieux est réalisé en amont. Ainsi, pour finaliser l’écriture des soixante hizbs (chapitres du coran), Uthman Taha, actuel calligraphe du coran, prend plus de trois ans pour réaliser son œuvre avant qu’une autre personne ne prenne le relais pour ornementer le tout. En effet, l’ornementation et l’occupation de l’espace caractérisent cet art arabe dont les motifs ballaient le vide contrairement aux autres styles calligraphiques qui préfèrent tirer profit des blancs.
La touche japonaise
Aujourd’hui, de nombreux calligraphes excellent dans cette discipline et certains sont d’ailleurs exposés dans les plus grands musées internationaux. Mais dans cette tribune, on ne vous parlera ni d’un Ghani Alani, ni d’un Hassan Massoudy, ni même pas d’un de ses artistes urbains contemporains tels qu’El Seed. On vous présentera plutôt un maître venu de l’Orient le plus extrême : Honda Koîchi ou le japonais qui présenta la calligraphie arabe sous un angle jamais soupçonné.
Ayant vécu pendant 30 ans en terre arabe, il s’inspira de la beauté des paysages du désert de la péninsule arabique, de la profondeur et de l’essence de la foi de la religion musulmane, à laquelle il s’est converti, pour créer une œuvre d’exception combinant la pureté et le minimalisme japonais aux proportions harmonieuses des caractères arabes. Il découvrit cet art quand il travaillait comme interprète pour une entreprise de topographie japonaise chargée de réaliser les premières cartes géographiques de l’Arabie Saoudite pendant les années 70. Parfait autodidacte, son apprentissage et son assiduité durèrent de longues années avant de se voir remettre en 2000 sa ijaza (prix du concours international de calligraphie arabe) des mains du maître turc Haçan Celebri. Pendant dix années, ce calligraphe expérimenté corrigea et aiguilla Fuad (prénom arabe du prodige japonais) avant de le féliciter pour la première fois en 1998. Il remplaça alors pour la première fois ses remarques habituelles au stylo rouge par un simple, mais néanmoins sincère « bravo« .
Des kanas japonais et des sinogrammes auxquels il était initié, Honda-San garda cette capacité de se concentrer sur la transmission du sens dans le graphisme. Il supprima les arabesques superflus pour se focaliser sur l’écriture et célébrer, comme le veut la sensibilité nipponne, l’espace. Le résultat est esthétiquement fabuleux et atteint presque, par son respect de l’équilibre, l’absolu.