Producteur et rappeur syrien, membre du groupe Latlateh, Bu Kolthoum se fait surtout connaître en 2015 avec la sortie de son album solo, Inderal. Aujourd’hui réfugié aux Pays-Bas, il figure parmi les principaux noms de la scène hip-hop du Proche-Orient.
Premier album solo, Inderal tranche par son ton personnel. Dans des morceaux tantôt lyriques, tantôt descriptifs et politiques, Bu Kolthoum utilise une grande variété de rythmes, de métaphores et d’images pour raconter ses histoires. A partir de 2011, celles-ci se confondent inéluctablement avec celles du peuple syrien.
Esset Abel el nawm, 5e morceau de l’album, est une expression arabe faisant référence à ces histoires que l’on raconte aux enfants avant qu’ils ne s’endorment. Bu Kolthoum y décrit, dans une profusion de détails et de sous-entendus, une ville qui semble tantôt vivante, tantôt détruite. On finit par comprendre qu’il s’agit une ville morte vivant dans une autre dimension, peuplée des fantômes de ses habitants.
C’est à Damas, en Syrie, que Bu Kolthoum commence à rapper en 2003. A cette époque, il écoute Redman, Busta Ryhmes, Cyrpress Hill… Les grands noms du rap US des années 1990, qu’il a découverts en écoutant des cassettes provenant du Liban. La Syrie est encore relativement fermée et ne compte qu’une vingtaine de rappeurs se réunissant surtout dans la capitale. Beaucoup d’entre eux finissent par arrêter.
Entre 2011 et 2013, Bu Kolthoum étudie dans la ville de Daraa, berceau de la révolution syrienne. Il vit au rythme des violences de la guerre, qui coûte la vie à beaucoup de ses camarades. Ces années-là, la musique devient pour lui un moyen d’expression presque vital.
Je rappais pour m’exprimer, relâcher la pression et ne pas devenir fou. Le hip-hop m’a sauvé la vie.
C’est en 2013, souffrant de stress post-traumatique, que Bu Kolthoum est contraint de quitter la Syrie. Il vit depuis d’un camp de réfugié à un autre. Aujourd’hui aux Pays-Bas, il risque d’être expulsé vers l’Angleterre au titre des accords de Dublin. Tout au long de ces années d’exil, Bu Kolthoum n’a pas cessé de faire du hip-hop. « Ces dernières années, explique-t-il, nous, les rappeurs, étions les seuls à aborder les vrais problèmes du peuple syrien. De plus en plus de personnes ont donc commencé à nous écouter. Le rap est devenu une véritable musique alternative en Syrie. »
L’exil, pour Bu Kolthoum comme pour tant d’autres, offre beaucoup d’opportunités en termes artistiques. En Jordanie, notamment, Bu Kolthoum rencontre beaucoup d’artistes palestiniens, comme le rappeur Muqata’a ou le producteur El Nather. Il travaille avec eux sur plusieurs projets et est influencé par leur style. « Aujourd’hui, explique-t-il, la grande majorité des rappeurs ont quitté la Syrie. Nous formons une scène qui n’est de toute façon pas syrienne, mais régionale ». Et cette scène hip-hop commence à s’imposer en Europe. Pour Bu Kolthoum, ce phénomène fait sens.
Le hip-hop est inhérent à la culture arabe, parce que comme la langue arabe, il est rythme, et il est poésie.
Et après la guerre ? Pour Bu Kolthoum, l’histoire se répète. « Après le conflit, explique-t-il, le hip-hop syrien va connaître le même destin que le hip-hop libanais au lendemain de la guerre civile. Il va devenir viral. Les années de guerre ont été glorieuses pour les rappeurs libanais. Prenez l’exemple de Malikah, rappeuse libanaise qui a eu la chance de travailler avec Nate Dogg, Snoop Dogg ou Fat Joe. Au lendemain du conflit de 1975-1990, tous les yeux étaient rivés sur le Liban. La Syrie va aussi devoir se reconstruire et nous les artistes syriens rentrerons faire du hip-hop dans notre pays. »
Le morceau Do’Do’ est un avant-goût du prochain album de Bu Kolthoum : Al Bo’Bo’. Le bo’bo’ est un personnage très présent dans l’imaginaire collectif syrien, qui surgit toujours par surprise, et que les enfants craignent. Pour le rappeur, ce personnage est une autre facette de sa personnalité : « Dans mon album Inderal, je suis cassé, psychologiquement fatigué, et je me confie », explique-t-il. « Dans mon prochain album, les rythmes sont saccadés, le ton plus dur. J’ai eu des moments difficiles, mais il est temps d’aller de l’avant. En termes artistiques, je veux passer à un autre stade».
Et si le conflit laissait place à plus de liberté d’expression, Bu Kolthoum sait qu’il rentrerait immédiatement en Syrie. « Je ferais même plus que rentrer, rêve-t-il, je créerais mon propre label, pour faire naître une nouvelle génération de rappeurs syriens. »
Pour suivre Bu Kolthoum: sa page Facebook et son Twitter.
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