Invité au Maghreb-Orient des livres qui s’est tenu du 8 au 10 fevrier dernier, Mustapha Benfodil y a présenté son dernier roman, Body Writing, paru chez Barzakh.
Romancier, dramaturge et poète, il signe une œuvre éclectique, à la paternité littéraire bien marquée.
« Alger s’effilochait sous mes pieds » 1
Alger, 2014. Karim Fatimi, le plus brillant astrophysicien du pays est retrouvé mort sur la route jouxtant la Maison hantée de Bologhine, le long de la côte. Suicide ? Attentat ? Acte manqué ? Pour exhumer sa mémoire, sa femme se plonge dans les écrits de son « amant graphopathe » et prend la plume à son tour. Un « corps-à-corps scripturaire » démarre alors. Lectrice intime, « perverse graphomane », Mounia partage les « cahiers-charniers » 2 de Karim comme elle partagerait ses draps.
Couchant sur le papier ses réflexions de veuve avant l’âge, elle tourne ainsi la page d’une vie de couple réduite comme une peau de chagrin. Tantôt guide voyeuriste, tantôt éclaireuse prise au piège, elle part à la rencontre du double-littéraire de son défunt mari. Elle hérite des brouillons, des photos, des coupures de presse, des versets, des poèmes, des exercices de style, des bribes de phrases entendues dans les taxis, des dialogues romancés, des secrets ; des bonnes nouvelles et des moins bonnes. On y retrouve aussi les dessins de leur petite Neila, qui songe à écrire ses mémoires à tout juste quatre ans, la génération soixante-huitarde (Karim est né en 1968), Mahmoud Darwich, Saint Augustin et Goldorak. Mais au-delà du manifeste politique et de la fantaisie, on retient surtout la mise en page vertigineuse du triangle amoureux Karim-Mounia-l’écriture, cette « teigneuse concubine » qui survit à la mort.
« Du pipi de chat dans un bain de sang national » 3
Divisé en trois parties : PAPIERS, ORANGES SANGUINES et JE (sans doute la plus belle), Body Writing intrigue par sa structure décousue et son style décalé. A la croisée des genres, le livre craque par tous les bouts. A ce propos, il fait curieusement penser au Carnet d’Or de Doris Lessing dans son écriture fragmentaire pour dire les jours qui volent en éclats, et comme Anna Wulf 4 , Karim Fatimi dissout son discours militant dans l’humour déjanté.
« Et voilà ce qui reste d’octobre à Bab Ezzouar, un centre commercial » 5
Roman polymorphe, Body Writing ne manque pas d’évoquer le deuil des ambitions avortées et des rêves soigneusement gardés.A travers le quotidien de Karim transparait l’Algérie contemporaine et ses fêlures. Son projet d’écriture se tisse au trauma national : Octobre 88 devient le « Bloody Monday » qui annonce la décennie rouge et les voix blanches.
« Un algérien c’est quelqu’un qui est arrivé jusqu’à la lune et l’a trouvée fermée » 6
Body Writing est intéressant par la part qu’il laisse à l’inachevé dans l’écriture, à cet espace fictif entre la vie et la mort qui permet le doute et la poésie. Largement inspiré de ses notes, on ne peut s’empêcher d’y voir une tentative d’autobiographie, Mustapha Benfodil ayant lui-même rêvé d’une carrière d’astrophysicien. Cette fois-ci, l’auteur de l’Archéologie du chaos amoureux revient fouiller dans les placards de ceux qui partent en laissant des traces. Un pari réussi.