Beyrouth, la réappropriation de la ville par le street art

Quoi de mieux pour faire réagir les gens que de les faire rire, de les titiller sur leurs mauvaises habitudes, et quoi de mieux pour faire aimer sa ville que de l’embellir ?

Quand on pense à Beyrouth, on pense à des murs criblés de balles. C’est pourtant ces murs que la jeunesse libanaise a choisi de faire vivre en se réappropriant l’espace public, pour en faire un espace vivant, coloré, accueillant.

Au-delà de l’aspect artistique des créations des graffiteurs, la beauté de ce street art libanais est la vision qu’il se propose, le message véhiculé par ses auteurs. Dans une société ultra politisée où la jeunesse peut avoir l’impression de ne pas pouvoir agir, la réappropriation de l’espace permet de faire passer des messages parfois touchants, parfois très drôles, mais toujours chargés d’un message, celui d’une jeunesse qui veut agir, à sa façon, sur les transformations de sa ville et de sa société.

Lorsque le collectif Dihzahyners décide de colorer l’immense escalier de Mar Mikhael, il s’agit tant d’un projet esthétique que d’une revendication, celle de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine beyrouthin, à une époque où le ciel est obstrué par les grues et les gratte-ciel et où ce que la guerre n’a pas détruit, la course effrénée à l’immobilier se charge de le faire. En réarrangeant la ville à leur manière, les artistes ne font pas que l’égayer. Ils font passer les messages qui leur tiennent à cœur, ils moquent leur société et ses vices, ses habitudes, comme Ali, graffiteur tripolitain maître dans l’art du dessin acerbe et militant, avec son militaire estampillé I love al fassad (J’aime la corruption), ou son citoyen urinant sur un feu rouge, et en légende, cette petite phrase percutante Cheyef 7alak ? (Tu t’es vu ?).

L’utilisation de l’espace ne prend pas uniquement la forme de graffitis sur les murs. En montant des escaliers ce matin pour me rendre en cours, j’ai pu découvrir une belle initiative, de celles qui donnent un sourire pour la journée. Celle du collectif Mak3adak (Ton siège). En invitant les usagers des escaliers à prendre une pause, ils réinventent la convivialité dans la rue et surtout, sur une idée très simple, changent la physionomie d’un escalier gris et sans histoire, pour le transformer en un lieu vivant par où passer devient un plaisir.

Et l’on a beaucoup de mal à ne pas admirer cette jeunesse qui choisit de faire vivre sa ville, et qui, sans prétention, en douceur, lui insuffle de la vie et de la bonne humeur, redessine l’espace urbain pour qu’il ne soit plus un simple lieu de passage mais aussi et surtout un lieu de vie, et ce n’est pas du luxe à Beyrouth, métropole bruyante, encombrée et polluée. Car quoi de mieux pour faire réagir les gens que de les faire rire, de les titiller sur leurs mauvaises habitudes, et quoi de mieux pour faire aimer sa ville que de l’embellir ?

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