Le collectif d’artiste Belaredj se réapproprie le Haïk, l’habit féminin traditionnel algérois, pour en explorer les dimensions et les usages, même les plus modernes.
Sous un ciel bleu méditerranéen, Alger, toute en relief, éclate de blancheur. Sa baie se dessine nerveusement, à perte de vue. Entre les palmiers et les orangers apparaît une flopée de silhouette blanches, descendant gracieusement des hauteurs vers la mer, tel un lâcher de colombes : des femmes et des jeunes filles défilent de la Kasbah vers les grandes avenues de la capitale, enveloppées d’un drap blanc satiné.
Elles arborent fièrement leur Haïk el Mramma : étoffe blanche soyeuse de forme rectangulaire attachée à la taille, Quoffa à la main et visage voilé sous l’aadjar – voilette triangulaire brodée voilant le visage -. Ce vêtement traditionnel algérien, à qui on attribue des origines turques et même grecques, a pendant des siècles symbolisé la femme algérienne. Les voiles du Haïk, sous lesquels se devine une Algérie d’antan, semblaient apaiser, par leur blancheur et leur pureté les turbulences du quotidien algérois.
Autour de Belaredj, le Haïk renaît à Alger
Redonner vie au Haïk, promouvoir un symbole de la culture et de l’identité visuelle algérienne : telle est la volonté de Souad Douibi, jeune artiste issue des Beaux arts d’Alger, fondatrice du collectif « Belaredj, les avant-gardistes du Haïk ». C’est dans un atelier de performance animé par deux artistes algériens, Sarah El Hamed et Karim Serouga, que des premières idées autour du Haïk s’esquissent.
Souad a pour ambition de redonner au Haïk sa place dans la ville, en le faisant porter par des jeunes filles plutôt que de vieille dames comme on le voit habituellement, d’abord afin de surprendre. Elle lance alors un appel sur facebook en janvier 2013 aux jeunes algéroises qui se donnent un premier rendez-vous en mars 2013 pendant un hommage à l’artiste peintre Karim Serouga.
C’est lors d’une Kaada algéroise sous le thème de l’incarnation du passé, organisée au Ksar pacha à la Kasbah d’Alger, que l’idée du groupe voit le jour. Entre les Boukalate -jeu traditionnel féminin qui consiste à lire des dictons et des poèmes en guise de souhaits- et les chants de Teqdam , le groupe se forme sous les airs de la chanson Ya Belaredj de Fadila Dziria, qui donnera le nom du groupe : « Belaredj, les avant-gardistes du Haïk », en référence aussi à l’oiseau blanc au long cou : la cigogne ( belaredj en arabe), désormais symbole du groupe.
Quand le Haïk se réapproprie l’espace public Algérois
Depuis, les performances du groupe s’enchaînent et font un vif succès. L’une des plus importantes fut celle des Quatre ports d’Alger mobilisant les quatre ports de la capitale, « Belaredj, la révolution » en commémoration du 1er novembre- date du déclenchement de la guerre d’Algérie-. D’autres performances furent organisées au-delà de la capitale algérienne à Cherchel, Dellys et Tipaza en septembre 2013.
En mars 2014, le groupe réalise une performance sous le titre de « La dernière Kaada » qui se veut un détournement de La Cène de Leonard De Vinci, à l’école des beaux arts d’Alger, ainsi que « Zine Bladi, une oeuvre ambulante » aux merveilleux Jardins d’essais d’Alger, pour ne citer que celles-ci. Chaque apparition du groupe dans la capitale vise un lieu symbolique et s’accompagne d’une performance en ville pour s’ouvrir au public et se détacher des musées.
Le mouvement Belaredj marque indéniablement un retour au Haïk dans la ville, longtemps disparu du paysage algérien, et qui reste méconnu de la nouvelle génération. Symbole de la femme algérienne par excellence, c’est aussi un symbole de résistance : on lui confère une connotation révolutionnaire puisqu’il a été porté par les femmes pendant la guerre de l’indépendance. Celles-ci s’en servaient pour dissimuler leurs armes.
Quand l’art réinvente un objet du patrimoine
En voyant les jeunes défiler en Haïk dans la casbah, de vieilles dames se seraient remis à le porter et ne le quitteraient plus, confie Souad Douibi. Toutefois, l’objectif du groupe n’est pas de prôner un retour de cet habit traditionnel, qui ne serait plus conforme à notre époque et inadapté à la vie quotidienne.
On ne réclame jamais le retour du Haïk. Je ne suis pas nostalgique, mais on a une richesse à récupérer, à moderniser et surtout à commercialiser – Souad Douibi
Il ne s’agit pas d’une action de conservation du patrimoine mais avant tout d’une démarche artistique. Le groupe fut beaucoup critiqué, accusé de porter atteinte à l’image du Haïk en le déformant. Pourtant, comme Souad Douibi l’affirme, Belaredj a su « faire par le biais de l’art ce qu’ils n’ont pas pu faire au nom de la tradition. » Réinventer un objet du patrimoine, lui attribuer une fonction nouvelle, différente de sa fonction d’origine, n’est-il pas le meilleur moyen de préserver un objet abandonné, tombé dans l’oubli ?
Belaredj, porter le Haïk à travers le monde
Ainsi, Belardj refuse toute reproduction et apporte une vision nouvelle du haïk, n’hésitant pas à la réinventer, à le porter de sa propre manière, avec originalité. Son souhait est d’en faire un phénomène de mode, une matière de création pour les grands stylistes et le faire porter, pourquoi pas, par des célébrités internationales.
Enfin, le Haïk de Belardj se veut aussi universel et s’affranchit des frontières pour explorer de nouveaux horizons, prendre de nouvelles formes et épouser d’autres cultures. Après s’être rendu au sud de l’Algérie à Bousaada et Timimoune pour des performances, celui-ci explora les frontières voisines de la Tunisie où les Belardjistes ont réalisé une performance dans la ville de Sidi Bousaid. Il s’est envolé aussi ailleurs dans le monde, en France, en Suisse, en Turquie, en Liban, au Canada et a fait l’objet d’une grande performance à Cuba, à la Havane, réalisée par Souad Douibi.