Baghdad Station, un voyage en suspension.

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Le dernier long métrage de Mohamed Al-Daradji ne peut vraiment pas laisser indifférent. Que ce soit sur la forme, un long métrage dont l’histoire se déroule entièrement dans la gare de Bagdad, ou sur le fond, le destin d’une femme terroriste ayant décidé de se faire exploser dans cette même gare.

Baghdad Station affiche

On ne comprend pas tout de suite ce que cette femme, Sara, au visage livide et fermé cherche. Elle n’a pas l’air perdu, au contraire, mais sa détermination prend une forme étrange. Ses yeux sont inanimés et sa démarche semble trainer un corps telle une coquille vide, comme si quelqu’un d’autre menait la danse. Elle avance et pénètre dans la gare. Entre Sara et la gare de Bagdad, le contraste est saisissant. Cette dernière est pleine, elle grouille de vie. Des marchands, des familles, des enfants des rues qui vendent leurs bricoles, des musiciens, toutes sortes de gens de passage. La route de la kamikaze va plus particulièrement croiser celle d’un jeune homme, Salam, trop collant. Il va le regretter, avant de comprendre qu’il a peut être un rôle plus important à jouer.

Dans la gare, ce condensé de société qui s’agite, la vie va petit à petit s’insuffler dans la jeune femme. Le combat est rude entre ses démons et le parfum vital tout autour d’elle. Il faudra voir ce film singulier et bouleversant à beaucoup d’égards pour savoir quelle force finira par s’imposer.

Né en 1978 en Irak, Mohamed Al-Daradji a quitté son pays de naissance à l’adolescence, pour fuir le terrorisme. En Europe, il est profondément choqué par les attentats de Londres en 2005.

De passage à Paris pour la projection de son film lors du festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, nous en avons profité pour poser quelques questions au réalisateur.

Rencontre.

Votre film se passe exclusivement dans la gare de Bagdad. C’est un choix fort et cette unité de lieu n’est pas sans rappeler une scène de théâtre. Comment ce choix est-il venu ?

Au début je n’ai vraiment pas pensé au lieu de cette manière et je n’avais pas pensé à la gare de Bagdad.

L’idée elle est venue d’un article que j’ai lu en 2008. Une jeune fille de 16 ans qui s’apprêtait à se faire exploser s’est finalement rendue quelques minutes avant à la police. Elle leur a dit « j’ai une bombe, aidez-moi ». Les policiers ont eu peur et pour la punir ils l’ont déshabillée et attachée à la porte du poste de police. C’était pour l’humilier publiquement. J’ai été choqué par cet article. Je ne pouvais pas comprendre ce qui pouvait pousser une fille, si jeune, dans cette décision de mort. J’ai aussi été très choqué par le comportement de la police. A l’époque j’étais sur un autre film et j’ai décidé de faire des recherches sur les femmes terroristes. Je me suis rendu compte qu’il y en avait quand même beaucoup. J’ai été surpris et choqué. Je me suis dit, il faut faire un film là-dessus.

Et j’ai décidé de faire un film dans un seul lieu. J’ai d’abord pensé à un bus, puis j’ai pensé que nous avions une si belle gare. J’aime les gares depuis que je suis petit, c’est un fort symbole de vie. Et j’ai décidé qu’on allait faire un voyage à l’intérieur d’elle-même, tout en déambulant dans la gare.

Puisqu’ils utilisent le coran pour tuer, j’ai choisi d’utiliser le coran pour faire un film. Il est notamment dit qu’ au moment juste avant de mourir, tu peux voir ce qui était invisible, dans le sens où tu as des réponses. En 2004 j’ai été kidnappé par Al-Qaida. J’étais en train de tourner un film et au milieu d’une scène, ils ont pointé des armes sur nous. Nous avons été sauvé par des policiers. Je connais ce moment où tu penses que tu vas mourir.

Vous dites ne pas vouloir « juger », mais il est clair que vous combattez le terrorisme ainsi, que voulez-vous dire alors ?

Entre 2010 et 2012 j’ai beaucoup écrit sur le terrorisme, mais j’écrivais avec la revanche au cœur, pour toutes les choses horribles qu’ils ont fait subir à mon pays. Durant mes recherches j’ai rencontré des femmes kamikazes. Avec l’une d’elle notamment on s’est regardés longuement. Elle avait l’air intelligent et était très belle. Elle aurait pu facilement être ma petite copine ou ma sœur.

Pour moi ça a été un choc et le déclic pour changer ma façon de penser, de voir les choses. Je me suis dit que plutôt que d’être dans des émotions, l’amour, la haine, je voulais surtout comprendre comment cela était possible. Qu’est ce qui peut bien se passer dans la tête, par exemple, d’une jeune femme terroriste. Dans le film, je voulais que Sara soit menée sur un autre chemin. Elle récupère lentement des bribes d’humanité qu’elle avait totalement perdue. Le fait par exemple de lui faire donner à manger à un enfant, ça c’est la vie, elle ne peut complètement se détourner.

Vous vous êtes entretenu avec des femmes terroristes et vous avez fait beaucoup de recherches, avez-vous aujourd’hui certaines réponses ?

Franchement, dans mes recherches ce que je perçois le plus c’est la confusion. On ne peut pas donner une réponse, une cause qui déclenche seule ce désir sinistre. J’ai fini par remarquer quatre sources différentes. L’idéologie sectaire et la fermeture d’esprit, des personnes qui sont manipulées ou faibles, des personnes qui n’ont aucun espoir et expriment un désir de justice car ils se sentent et se considèrent dans l’injustice et enfin d’autres qui ont toutes ces caractéristiques. Le personnage du film fait partie de cette catégorie, c’est un mélange de beaucoup de choses et d’ailleurs je ne raconte pas son histoire. Ce n’est pas le plus important, car ce ne sont pas des « raisons ».

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Vous parlez de responsabilité de traiter ce sujet, pouvez-vous expliquer ?

Aujourd’hui le terrorisme est partout. Il y a la guerre contre le terrorisme et aussi des montées anti-islam. En tant que société nous avons failli et c’est à nous de faire face et de régler le problème. On doit en parler, c’est une obligation. Les irakiens ont peur mais c’est une erreur de ne pas mettre le sujet au centre. Pour résoudre un problème, il faut forcément en discuter.

Autour de Sara, dans la gare, de nombreuses petites scènes ponctuent le film. C’est très furtif et pourtant on s’attache et on écoute tout le monde, comment vous l’expliquez ?

Les acteurs ne sont pas des professionnels. Je pense que ça tient à ça. Ce que j’essaie de faire au maximum c’est de connaître leurs histoires et d’écrire autour d’elles. De cette façon c’est très réel. Je ne voulais pas parler beaucoup du personnage principal, je préférais la laisser interagir avec son environnement plutôt que de la raconter artificiellement. Parce que ce n’est pas elle l’histoire. L’histoire que je raconte c’est celle d’une société entière dans laquelle tout le monde est à la fois victime et coupable. Et Sara et bien, elle va en fait, prendre de  cette humanité grâce aux êtres humains qui sont autour d’elle.

Séances Baghdad Station

Cinéma Saint André des arts, Paris

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