Un avenir pour la jeunesse syrienne, de la révolution aux camps du Liban

Au Liban, 42% des ménages syriens vivent dans des barques de fortunes, où les enfants subissent de plein fouet la pauvreté et les différents des adultes.
Ce texte sur les populations syriennes réfugiées au Liban est le premier d'une série qui est rendue possible grâce aux efforts de l'association Relief and Reconciliation for Syria. Au cours des semaines à venir, de nombreux invités syriens s'exprimeront dans les colonnes d'ONORIENT grâce aux efforts de l'association - que nous vous invitons à soutenir !-.

La population syrienne est particulièrement jeune : 81% des réfugiés ont moins de 35 ans. Syrien, Cheikh Abdou, qui est directeur d’un centre de soutien scolaire, détaille comment il s’efforce de prévenir la formation d’une Génération perdue, à la merci de la précarité matérielle et des formations criminelles et radicales. »

Être un jeune Syrien au Liban

« La Syrie d’avant la révolution était un pays jeune, et cette tendance est actuellement renforcée par la disparition de nombreux adultes. Actuellement, près de 700 000 enfants de six à quatorze ans sont jetés sur les routes du Proche-Orient, d’Afrique du Nord ou des Balkans. Ils seraient 400 000 parmi le million et demi de réfugiés syriens estimé au Liban, dont je fais partie depuis 2011.

Le sort de ces enfants est pour nous, Syriens, un sujet de préoccupation majeur. Ces petits ont quitté leur maison sous les bombes, sans savoir où ils allaient ni pour combien de temps. Ils connaissent la faim, dorment parfois à même le sol dans nos baraques de fortune et sont les premiers témoins de nos conflits et inquiétudes d’adultes. Dans une logique de survie, certains sont envoyés dès huit ou neuf ans gagner un peu d’argent dans les champs, les ateliers, les commerces de détail, voire en mendiant dans la rue.

La pauvreté contraint parfois des enfants syriens ou libanais à la mendicité, comme ici dans un quartier central de Beyrouth.

À l’image de la Jordanie, le gouvernement libanais a officiellement ouvert ses écoles publiques aux enfants syriens. L’impact est pourtant limité, tant la difficulté de s’intégrer à un système scolaire étranger, la crainte de brimades racistes et la méfiance des parents provoquent de nombreux décrochages.

Une « Génération perdue » marquée du sceau de l’ignorance

Ces jeunes déracinés sont en proie à des émotions complexes et parfois contradictoires. Beaucoup se sentent responsables des leurs et sont prêts à s’engager au service de la communauté réfugiée. Dans le même temps, ils souffrent d’être privés des opportunités de travail, d’études et d’épanouissement personnel de leur âge. La honte qui en résulte et le manque d’instruction en font des proies faciles pour toutes sortes de milices et formations radicales.

La société syrienne s’en retrouve profondément divisée, alors même que l’unité est plus nécessaire que jamais. Certains d’entre nous développent des attitudes sectaires, en contradiction avec la religion et la morale. En s’estimant seuls détenteurs du vrai et de l’honnêteté, ils trahissent l’esprit même de la révolution pacifique ayant soulevé le pays il y a maintenant cinq ans. D’autres ont compris les évolutions de fond à l’origine de cet événement et promeuvent au contraire un modèle fidèle à nos exigences morales, permettant la coexistence entre tous. Ces deux tendances portent leur propre vision du monde et de la reconstruction de la Syrie de demain.

Le confessionnalisme, que je définirais comme le fait d’aborder l’autre en fonction de sa foi, est pourtant désavoué par le Prophète même :

Celui qui appelle au sectarisme, qui combat par sectarisme et qui meurt par sectarisme, celui-là n’est pas avec nous. 1

De même, Dieu tout-puissant nous a dit :

Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et Nous vous avons répartis en peuples et tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. 2

Crédit : Maguelone Girardot

Alors que le jeune s’ouvre au monde, il est essentiel que ses parents et éducateurs l’éveillent à la tolérance et à l’acceptation de l’autre dans sa différence.

J’appréhende donc tout individu sans me mêler de ses convictions personnelles, en me rappelant que nous venons tous d’Adam et qu’Adam vient de la Terre. Les autres idoles, prophètes et envoyés étaient porteurs d’un message semblable au nôtre, comme en témoigne les propos de Jésus-Christ, paix soit sur Lui :

« Heureux les artisans de paix, car ils sont appelés
fils de Dieu. » 3

Éduquer et instruire, un combat pour la Syrie à venir.

Comment expliquer l’intolérance et la méconnaissance à l’ère du tout numérique ? Notre précarité matérielle nous rappelle quotidiennement que ces technologiques ne sont accessibles que pour ceux qui ont l’électricité, une connexion internet et un ordinateur ou un téléphone suffisamment sophistiqué. En second lieu, sur internet circulent le pire et le meilleur. Si les médias indépendants et les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans le Printemps arabe, nous Syriens, avons été et sommes toujours victimes de la propagande destinée à nous manipuler ou à mentir sur notre sort.

Notre mission éducative apparaît d’autant plus essentielle pour promouvoir ces idéaux humanistes. À mes yeux, il est vain de demander aux enfants leur avis sur les autres religions alors qu’ils n’en connaissent au mieux que le nom. Il se peut même qu’ils tiennent des propos infondés, qu’il sera difficile de déconstruire ensuite. En revanche, l’adolescence est une période cruciale de la construction de sa personnalité. C’est alors le bon moment d’initier un dialogue sur les autres religions, opinions et idéologies, en affirmant que la valeur centrale est la vie humaine. Cela permet de protéger nos jeunes de l’embrigadement extrémiste et de leur apprendre la curiosité et le respect de l’autre dans sa différence.

Ce travail est délicat et nécessite un engagement sincère et de long terme. Ce qui m’amène à critiquer le détournement des enjeux éducatifs par certains organismes humanitaires guidés par des logiques commerciales. On ne peut évaluer la pertinence d’un programme éducatif au montant des subventions engrangées, mais à sa capacité à apporter connaissances et espoir aux jeunes. Les programmes conçus selon les attentes des bailleurs tendent à transformer les enfants syriens en biens commerciaux, sans leur apporter l’instruction, ni même le sentiment de sécurité dont ils ont besoin. Prévenir le phénomène de Génération perdue ne peut se faire par des mesures superficielles ou de spectacle, mais bien par un travail de fond à même de préparer la Syrie de demain. »

Cheikh Abdou, relu par Maguelone Girardot et illustré par Isra al-Zhouri et Maguelone Girardot

1 Hadith d’Abou Hourayra rapportant un propos du Prophète Mahomet.
2 Coran, Sourate 49, 13.
3 Evangile selon St. Mathieu, chapitre 5, verset 9.