Augustin Le Gall : retour sur le passé occulté de la Tunisie

Documenter la refondation de l’État, c’est le défi que s’est imposé Augustin Le Gall, exposé en France pour la première fois. Découverte.

À l’occasion des cinq ans de la révolution tunisienne, célébrée en janvier dernier, les tentatives de bilan se multiplient pour comprendre la réalité des perspectives engagées afin de garantir le processus de démocratisation et de pacification de la société.

Exposée pour la première fois en France, dans le cadre du Festival International du film des Droits de l’Homme, l’exposition photographique Sous le jasmin, Histoires d’une répression en Tunisie, initiée par Augustin Le Gall avec le concours de l’Organisation Mondial Contre la Torture (OMCT), nous ouvrait une porte pour comprendre la profondeur des mutations en cours dans le paysage culturel tunisien.

Suite à la libération de la parole survenue avec la Révolution de 2011, Le Gall choisit de pérenniser sa présence en Tunisie, et poursuit durant cinq ans la tâche de documenter la refondation de l’Etat. A rebours des salutations médiatiques prophétiques européennes, qui affluent à cette même période, sa démarche l’engage dans l’éminente recherche du droit à la vérité et à la dignité. Pour cela, elle s’inscrit dans la temporalité des enjeux que traversent la société tunisienne. Dans la veine des films documentaires ou des pièces de théâtre tunisiens, Le Gall revient sur les violentes exactions et les zones d’ombres de la dictature qui érigea la répression et la torture comme des modes de gouvernance.

Credit photo - Augustin Le Gall

Credit photo – Augustin Le Gall

Confronter le passé

Les portraits rencontrés au détour des trente-deux photographies, exposées au deuxième étage de la mairie, représentent la diversité des forces d’opposition réprimées sous le joug des deux régimes qui se sont succédés à l’indépendance tunisienne en 1956.

La sobriété des portraits rend hommage à des présences fortes. Révélant aussi de lourds regards, la lumière du studio photo fait surgir de l’ombre une série de profils : opposants politiques de tous bords, syndicalistes, journalistes, étudiants, bloggueurs ou encore membres des familles d’activistes… Cette succession révèle en creux l’étendue d’un système d’oppression au cœur du territoire tunisien.

Les chroniques plus intimistes qui accompagnent chaque portrait documentent les histoires singulières et les circonstances des violentes ignominies endurées. Ces quelques mots renseignent sans construire de catégories victimaires. Ces fragments archivent la mémoire de ces hommes et femmes et révèlent leur volonté de sortir du silence.

La violence en héritage

Contre toutes les idées reçues qui demeurent lorsque l’on vient à aborder les usages du médium photographique au Maghreb, Augustin Le Gall affirme n’avoir rencontré aucune résistance au cours du projet. Il souligne d’ailleurs l’implication totale des témoins dans ce projet. Leur concours et celui de la filiale tunisienne de l’OMCT fut d’ailleurs décisifs dans la dimension que pris le projet. L’appropriation par les citoyens aboutissant à une véritable manifestation culturelle, mémorielle et civique.

Partagée dans l’ensemble des régions tunisiennes, l’exposition circula accompagnée des témoins des sévices. Ils affirmèrent, au cours de débats conjoints, leur volonté de surmonter le passé pour endiguer la persistance des pratiques répressives, afin d’éradiquer définitivement la culture de la violence policière perpétuée depuis plus de cinquante ans.

Alors qu’une instance judiciaire spéciale est chargée de lever le voile sur les atteintes des droits de l’homme qui ont marqué l’histoire de la Tunisie. L’exposition témoigne du travail de la société à assumer collectivement un passé longtemps dissimulé.

Credit photo - Augustin Le Gall

Credit photo – Augustin Le Gall

L’itinérance parisienne

Pour un public parisien plus familier des représentations touristiques négociées par l’ancien régime avec nos médias, l’exposition offre un portrait inédit de la Tunisie, celui d’un peuple insurgé pendant plus de cinquante ans.

A plus d’un titre, la série de portraits s’impose dans l’institution. Dans le silence de la Mairie du IVe arrondissement, résonne l’occultation officielle de la répression instituée. Elle fait écho à l’absence de dialogue entretenue par la France avec les tenants de l’opposition. La dimension mémorielle de l’exposition prend soudainement un sens nouveau.

A contre-courant d’une vision dramatique, cette manifestation questionne l’acuité des représentations portées envers nos voisins méditerranéens. Sa présence est pour nous un rappel au doute face à ces images qui inondent nos paysages…