A Paris, l’Institut kurde perpétue la richesse de cette culture. Parmi les personnes qui s’investissent, il y a Issa Hassan, musicien, compositeur et chanteur libanais d’origine kurde.
La culture kurde a dû faire face à une histoire mouvementée. Elle a su néanmoins garder sa richesse et sa spécificité tout en s’imprégnant, par contacts, des autres cultures de l’Est de la Méditerranée : les cultures turque, iranienne, arabe et arménienne pour ne citer que des exemples. C’est sans doute là, la raison de sa longévité. Malgré les conflits, les exodes forcés et les contraintes politiques, la culture kurde est restée vivante. La musique en est sans doute sa vitrine la plus symbolique.
Les Kurdes sont un peuple qui pendant longtemps n’a pas été reconnu. Vivant essentiellement en Turquie, Syrie, Iraq, Iran et dans le Caucase, sa population est estimée à plus de 35 millions de personnes. On compte aussi une importante diaspora kurde en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. On distingue en outre trois branches linguistiques : les kurdes Sorani ( à l’Est et au Sud du Moyen Orient), les Zazaki ( au Nord) et les Kurmandji ( à l’Ouest).
C’est dans un petit bureau à l’étage de l’institut que nous rencontrons Issa Hassan. Au milieu de ses enregistrements, il nous raconte son histoire faite de mouvements et de passion pour la musique kurde. Issa Hassan est né à Beyrouth en 1970 de parents kurdes de Turquie. Très jeune, il s’initie à la danse folklorique kurde. Sa famille, notamment l’oncle de sa mère, joue de la musique kurde et c’est tout naturellement qu’il se passionne pour elle. A l’âge de 14 ans, il quitte le Liban pour Paris pour rejoindre son frère. A cette époque, la guerre civile du Liban fait rage.
C’est dans ce contexte que Issa se retrouve à Paris. L’Institut Kurde alors vient à peine d’être fondé et Issa Hassan le fréquente déjà : « Je jouais ici dans cette pièce. Je suis un autodidacte : j’ai appris la musique seul et cela dure déjà plus de 30 ans ». Il joue du bouzouk et du saz. Le bouzouk est un instrument de type luth à manche long à deux cordes doublées, accordées en quarte. Le saz a plus de cordes (3 doublées). Les sonorités sont donc différentes. Le bouzouk est un instrument ancien qui a évolué mais qui a gardé une sonorité particulière. Les Kurdes utilisent cet instrument notamment les Kurdes de Syrie : le bouzouk était un instrument populaire, que chaque famille avait chez soi.
Pour Issa Hassan, il y a bien un son kurde différent : bien que les musiciens kurdes utilisent le même mode lorsqu’ils jouent que les Iraniens, les Turcs ou les Arabes, la sensibilité est différente : « J’ai remarqué que dans la musique kurde, on insiste sur les notes, on peut beaucoup répéter les notes dans la même phrase. C’est vraiment difficile de la différencier de la musique orientale pour une oreille non avertie. Mais, en fait, c’est l’interprétation qui est différente ».
Des thèmes de prédilection : l’amour, la nostalgie et le patriotisme
Une des grandes particularités de la musique kurde, nous explique Issa Hassan, c’est la place des femmes. La femme kurde chante et n’hésite pas à s’adresser elle-même à son prétendant, telle la belle qui réclame à son amant de l’enlever avant qu’il ne soit trop tard. C’est le thème du garçon ou lawik en kurde, thème très populaire et traditionnel.
L’autre thème de prédilection est le patriotisme, thème fortement lié à l’histoire des Kurdes. Pour Issa Hassan, s’accrocher à la culture kurde est encore plus fort aujourd’hui : » Malgré les interdictions, les injustices, les Kurdes sont restés attachés à leur culture. Il y a encore quelques années, il était interdit d’appeler son enfant par un prénom kurde, ou d’apprendre leur langue maternelle à l’école en Turquie ou encore d’avoir des papiers en Syrie alors que des familles kurdes y étaient installées depuis des générations. Les Kurdes étaient considérés comme des étrangers et personne ne s’en souciait. Chaque kurde a envie de montrer sa fierté d’être kurde : notre histoire est digne elle-aussi. Et c’est cette injustice-là qui nous donne la force de nous accrocher ».
Le musicien nous explique qu’il est marié à une algérienne et assume ces trois identités :
Je suis né Kurde et j’ai appris l’arabe à l’école au Liban. J’ai partagé les bonheurs et les malheurs de ce pays qui nous a accueilli. Je me sens donc Kurde mais aussi Libanais et Français. Je suis tout ça à la fois. Par contre, je ne veux pas que les autres me disent ce que je dois être. Je veux être libre d’être moi-même. C’est pour ça que je dis que la culture kurde ne va pas disparaître . On tient à notre culture et à notre histoire.
Préserver la mémoire de la musique kurde
Depuis 1983, l’Institut kurde archive les musiques kurdes. Issa Hassan s’attèle, depuis 1994, à préserver cette mémoire vivante. Ce travail l’occupe environ huit heures par jour : » Les objectifs sont clairs : faire passer aux générations futures la culture kurde, c’est un travail que de nombreux centres culturels en Turquie ou en Irak entreprennent aussi ». Il s’agit d’un travail presque artisanal où toutes les musiques sont écoutées unes à unes : des disques, cassettes, CD sont archivés.
Cependant, il n’hésite pas dans sa musique, à mêler les influences méditerranéennes notamment la culture andalouse. Ce n’est pas contradictoire selon lui. Mais toujours, comme il l’avoue, la question kurde revient : « un artiste kurde n’est pas comme les autres artistes. Il ne viendrait à l’idée de personne de demander à un artiste français si la culture française va perdurer. Nous, nous restons attachés à une cause comme les Palestiniens, je pense. Pour nous, le lien est vite fait : notre histoire, notre terre, notre culture, notre langue. En tant que musicien et chanteur kurde, je suis vu comme représentant de la culture kurde. Je veux être avant tout être un artiste. Mais je suis kurde aussi. C’est un fait ».