Arabstazy : l’électro-arabe comme subversion

Arabstazy © Céline Meunier

Si vous aimiez vous déhancher sur des versions remixées d’Asmahan et d’Oum Kalthoum, écoutez la première compilation du collectif Arabstazy et vous découvrirez à quoi ressemble la scène électronique underground en Afrique du Nord et au Moyen-Orient aujourd’hui. Votre conception de «l’électro-arabe » prendra une toute autre dimension.

Initié par l’artiste tunisien Amine Metani, aka Mettani, en 2014, Arabstazy est un collectif d’artistes pluridisciplinaires, gravitant autour de la scène électronique underground grandissante en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Nourris par la frustration post-révolution, ces artistes se retrouvent autour d’une volonté profonde de redéfinir la création arabe contemporaine et de se réapproprier à la fois leur patrimoine et leur devenir. Pour cela, musique, vidéo, performance et photographie sont mis à contribution dans une démarche expérimentale originale.

Pour en finir avec l’orientalisme

Les productions et les performances d’Arabstazy sont pleines de mystère et de curiosité. La part belle est faite à l’expérimentation et aux concepts plutôt qu’à l’accessibilité immédiate du produit fini, quitte à bousculer les auditeurs ou les spectateurs. Fini l’électro-arabe vintage qui fait danser le tout Paris. Car chez Arabstazy, on s’interroge :

Comment se fait-il qu’il faille attendre que des Français remixent des chansons arabes des années 70 pour que cette musique fusion deviennent un phénomène de mode ?

Ce procédé de faire du neuf avec de l’ancien, certaines capitales du Sud et de l’Est méditerranéen le font depuis plusieurs décennies déjà. Tendance plus problématique, ces succès commerciaux occupent une telle place au sein des programmations qu’ils finissent par empêcher la création contemporaine arabe d’y accéder et de trouver les financements pour se renouveler. Nous satisferions-nous d’une scène musicale saturée par des créations datant d’un demi-siècle ? Des remix de Claude François et de Dalida rempliraient-ils les clubs branchés de la capitale ? Non (quoique). Difficile pour les artistes électro de la région de ne pas se sentir dépossédés, sans y voir la manifestation outre-Méditerranée d’un fantasme orientaliste toujours renouvelé.

Arabstazy © Céline Meunier

Fusion révélatrice

Les artistes d’Arabstazy ont en commun de vouloir déconstruire les représentations identitaires monolithiques dont ils se sentent prisonniers. Pour se libérer des autres et d’eux-mêmes, la fusion apparaît toute indiquée. Enrichie par les connexions qu’elle crée entre différents environnements musicaux, elle met en lumière la pluralité des origines et des influences au sein des cultures de ce « monde arabe » faussement uni.

Mettani s’intéresse par exemple aux racines subsahariennes de l’arabité que l’on retrouve notamment dans le gnawa au Maroc et le diwane en Algérie. Ses sons ésotériques et ses performances similaires à des rites sacrés convoquent cette influence africaine essentielle, pourtant toujours taboue, des cultures du Maghreb. Autre artiste produit par le collectif, Tropikal Camel investigue la part de l’arabité dans l’identité israélienne. Preuve que sa démarche entre en résonance avec la situation actuelle, il dérange tout en recevant des invitations à se produire en Israël.

Arabstazy © Céline Meunier

Subversion sonore

Le manifeste du collectif indique poser les fondations de « la nouvelle vague du futurisme nord-africain et moyen-oriental ». Un programme ambitieux qui confirme toute la marge d’évolution et d’innovation dont dispose l’électro, pour peu que les artistes assument la prise de risque. A l’instar du hip-hop depuis les années 90, la grande popularité de cette musique lui confère une influence non-négligeable sur les consciences. Et comme d’autres courants musicaux d’inspiration occidentale (rock, métal, rap), les performances électro peuvent être soumises à des interdictions, sans qu’aucune raison explicitement liée au contenu ne soit avancée… Une preuve à tirer de leur potentiel subversif ? Dans le cas d’Arabstazy comme de nombreux artistes de la région, cette limitation du processus artistique et la nécessité permanente de jouer avec les lignes rouges ont nourri une frustration au cœur de leur création.

Arabstazy © Céline Meunier

« Under frustration » : la frustration créatrice Vol. I

Le collectif a sorti le 25 mai le premier volume de trois compilations sous le nom « Under frustration », en partenariat avec InFiné. Le format de la compilation a le mérite de présenter à la fois l’hétérogénéité et les points de convergences de la scène régionale émergente. Les artistes ne sont pas tous issus du collectif. L’album s’est enrichi d’un appel à projet afin de continuer à découvrir de nouveaux talents, principalement tunisiens et égyptiens, mais aussi libanais et syriens. On applaudit l’initiative d’Arabstazy de reverser l’intégralité des bénéfices à l’ONG Basmeh & Zeitooneh et leur festival « Seen » dont les artistes tentent de remédier aux stéréotypes portant préjudice aux réfugiés au Liban.

Au programme : le trio alexandrin The Triangle, le Cairote Ismael, le Tunisien Shinigami San, Mettani lui-même, Terra Aziz pour l’Iran, Muudra et ses affinités arméniennes et kurdes, la Tunisienne Deena Abdelwahed, Tropikal Camel de Jérusalem, l’artiste égyptienne basée à Beyrouth Aya Metwalli et la Tunisienne Mash.

Lien pour écoute publique

Soirée de lancement - 29 juin

Ground Control Paris

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