J’écris pour Onorient parce qu’un jour, j’ai ressenti un manque.
Je l’ai intitulé le manque T.T.T – parce qu’il a été terriblement terrifiant et tortueux.
J’étais étudiante en Design industriel, à Paris, depuis près de trois ans. Je me régalais du foisonnement culturel de la cité des Lumières. J’étais heureuse de vivre mon rêve. Tout se passait pour le mieux. Mais sans que je sache pourquoi, ni comment, j’ai commencé à ressentir un ennui, tapi dans l’ombre et qui prenait tous les jours davantage de place. Ce que je pouvais bien lire, voir, écouter ne résonnait plus en moi. Ce que je produisais manquait de sens. J’étais coincée dans une chambre sourde. Et ça me faisait souffrir.
C’était donc Terriblement Terrifiant et Tortueux.
A gap – Un écart – فجوة
Ça s’est installé en moi insidieusement, sans crier gare. Et violemment, j’ai rejeté Paris.
On pouvait bien me parler de crise identitaire, de mal du pays ou d’un truc passager qui allait disparaitre comme par magie.
Mais, pour moi, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une question de survie.
J’exagère à peine.
Alors comme dans toutes les quêtes de soi, il fallait que je retourne à la source. Il fallait que je sache qui j’étais, moi, Amira Louadah, en tant qu’individu.
J’avais besoin de plonger encore une fois les yeux dans le ciel sans limite d’Alger.
Ce ciel en apparence ne fait pas de vague. C’est pourtant un véritable raz de marée : il est changeant et pluriel. Et ça me fait doucement rire de constater qu’en surface, on pense aussi que la scène culturelle algérienne est effacée, voir inexistante.
Boredom – Ennui – Legya
C’est le fameux : « il n’y a rien à voir et rien à faire à Alger ».
Pourtant, des expositions, des événements artistiques, des débats, il y en a !
Musicien.es, comédien.es, chanteur.ses, peintres, designer.euses, artisan.es, céramistes, performeur.ses, écrivain.es, réalisateur.rices…
Je ne savais rien d’eux alors que j’avais vécu à Alger pendant 17 ans. On m’avait méchamment taclé. Le ballon m’a échappé à la vitesse de la lumière, alors qu’il était à mes pieds.
Comment ai-je pu, en tant que designer m’engager dans la création, sans me douter un seul instant de l’existence de tous ces artistes ?
Parce qu’il faut aller les chercher. Et on ne sait pas aller chercher ce dont on ignore l’existence.
Pendant six mois, j’ai rencontré ces artistes. Leur talent et leur générosité me laissent encore pantoise. Et ces six mois de discussions, de partage et de création sont à jamais gravés dans ma mémoire.
Finalement, à avoir les yeux trop tournés vers les productions occidentales, on en oublie celles de la scène maghrébine et orientale.
On oublie que nos artistes ont de la valeur. On oublie qu’ils soulèvent des questionnements essentiels à la bonne santé de nos sociétés. S’interroger sur les inégalités de genre, sur les traditions, sur la surveillance sociale, sur l’immigration et sur la politique, permet d’élever le débat et de prendre du recul.
Consciemment ou inconsciemment, les artistes puisent souvent leurs inspirations de leurs souvenirs d’enfance. Alors, vraisemblablement, en tant que spectateurs, pour peu qu’on ait vécu dans le même lieu que l’artiste, notre paysage mental est peuplé des mêmes images. Et on a plus de chances d’être touchés par leurs créations.
Ce n’est pas un rejet occidental. Ce qui est produit dans d’autres cultures est tout aussi essentiel. Mais, qu’on ne me parle plus d’universalité ! Parlons des richesses que créent les écarts culturels.
Alors oui, un jour, j’ai bien ressenti un manque.
Mais, j’écris pour Onorient, parce que ce manque n’a pas lieu d’exister.