Beirut. À prononcer à la libanaise avec ce « r » roulé et écrit à l’anglo-saxonne par pur snobisme. Allez savoir pourquoi, fantaisie d’orientaliste sûrement, mais lubie assumée, tout comme le fait d’écrire cet article avec Fayrouz en fond sonore. Yalla, let’s go to Beirut mon amour.
On a tous quelque chose en nous de Beyrouth, cela pourrait être le leitmotiv du livre que David Hury a consacré à la capitale du Liban. Avec cet ouvrage, l’auteur met en lumière la relation de la ville à ses habitants, qu’ils soient de passage, Beyrouthins d’adoption ou de naissance. Le concept du livre part du constat que nul ne peut être insensible à Beyrouth. Certes, ce n’est pas l’unique ville qui provoque de telles émotions contradictoires, elle s’inscrit ainsi dans la liste des métropoles méditerranéennes de caractère : Marseille, Naples, Casablanca…
À ceci près que Beyrouth fait rêver Arabes et Occidentaux : des clubbers berlinois se languissant de ses nuits blanches au rythme du trip-hop aux jeunes Maghrébins qui voient dans la mixité communautaire une altérité qu’ils n’ont jamais connue. Le Liban, autrefois surnommé la “Suisse” du Moyen-Orient, nourrit un imaginaire fort et fut dans les années 60-70 la capitale des intellectuels arabes avec ses cafés où l’on parlait politique et libération de la Palestine.
David Hury qui a vécu au pays du Cèdre de 1997 à 2014, retrace la genèse de son livre en expliquant “The Beirut book est issu d’une série d’illustrations s’inspirant des plaques bleues émaillées que l’on croise au coin des rues de Beyrouth (…) À l’origine, ces illustrations s’appuyaient sur une idée simple : détourner des citations célèbres en y intégrant le mot de Beyrouth”. Pendant le salon du livre francophone en 2013 il a invité inconnus, célébrités locales, auteurs et visiteurs éphémères à se prêter au jeu du détournement : le Beirut book était né.
En français, anglais, arabe (avec de l’italien, de l’arménien…) les citations cristallisent les sentiments que fait naître la ville, du rejet à la distance, de l’amour à l’exaspération. Mais de l’indifference, jamais. La parole libre, des visiteurs ou des personnalités ont livré leur témoignage intime sur la capitale libanaise. Le Beirut book, sans numéro de page ni chapitre, reflète la perception des habitants sur la ville : chaotique, tourmentée, rebelle, nostalgique, insupportable mais incroyablement sexy.
Beyrouth serait comme une femme fatale, sûre de sa beauté et de son aura, se moquant de ses prétendants. Beyrouth, sa lumière, son énergie mais aussi sa noirceur et ses déchirements. Beyrouth et ses contradictions. D’ailleurs, en français l’expression “c’est Beyrouth” (et son equivalent anglais “it looks like Beirut”) continue d’être employée. Elle renvoie chacun à un univers personnel comme l’explique Michel Touma, rédacteur en chef du quotidien libanais l’Orient-le-Jour :
« L’expression a traversé les âges. Elle continue d’évoquer autant le luxe et l’insouciance, avec son Casino du Liban – le seul de la région à l’époque où sont venues se produire, avant la guerre, les troupes du Lido et du Moulin Rouge – que l’effondrement de l’État, la ligne de démarcation, les milices, la tutelle syrienne, puis celle du Hezbollah »[1].
À chacun son Beyrouth pourrait-on dire. Mais une certitude demeure: Beyrouth sera toujours Beyrouth.
Pour se procurer le livre, c’est par ici.
[1] Cité dans “C’est Beyrouth”, le souvenir de l’insouciance et du chaos, Agnès Rotivel, La Croix, 30/07/2015.