Le vocaliste Alireza Ghorbani vient de sortir Éperdument sous le label Accords Croisés. Dans ce disque, l’interprète du radif nous convie à un voyage initiatique en puisant au cœur du répertoire persan, sur les pas des poètes soufis. Un moment de pure grâce mystique.
L’Iran a toujours eu une grande tradition musicale, fortement liée à la poésie et à l’islam. C’est sous l’impulsion des Safavides que le chiisme a été instauré religion d’État et que la musique religieuse, le ta’zie, a été codifiée. Ce genre de musique (mais aussi de théâtre historico-religieux) commémore le drame de Karbala et la mort de l’imam Hussein à travers la récitation de l’histoire des martyrs et les lamentations. Il puise son appellation de l’arabe « Azaa » (condoléances). Si la pratique de la musique profane a évolué au gré des dynasties selon leur tolérance ou réticence envers les différentes formes d’arts, une grande partie du patrimoine musical persan fut sauvegardée grâce aux soufis, notamment au travers du rite des sama’a qui mettent en scène les derviches tourneurs. Les poésies mystiques chantées dans le sama’aʿa associent les thèmes de l’amant et de l’aimé, de l’essence divine, de la nostalgie, de la perte de l’être aimé ou de l’ivresse spirituelle.
La poésie mystique et l’exaltation de l’amour sont justement les thèmes de prédilection d’Alireza Ghorbani, qu’il a su magnifier auparavant dans Ivresses, le sacre de Khayyam, aux côtés de Dorsaf Hamdani. Attiré par la musique dès son plus jeune âge alors qu’il imitait les artistes entendus à la radio et à la télévision, ce Téhéranais connaîtra une initiation musicale par les cantillations et la prosodie du Coran. Aujourd’hui, Alireza Ghorbani est sans conteste l’un des vocalistes les plus talentueux d’Iran. Ancré dans la tradition classique, il se consacre au radif et puise dans le répertoire persan, qui exalte toujours les foules, toutes générations et classes sociales confondues. Inscrit au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO en 2009, le radif est un corpus mélodico-rythmique complexe qui repose sur 7 dastgâh (systèmes modaux), 5 âvâz (modes dérivés) et plus de 250 gushés (motifs mélodiques) dans lequel le vocaliste joue un rôle clé. En effet, c’est lui qui décide du dastgâh en fonction de la teinte qu’il entend donner à l’interprétation du poème chanté, laissant ainsi une grande part à l’improvisation.
Et c’est là que toute la virtuosité d’Alireza Ghorbani se déploie. Dans Éperdument, il démontre la place privilégiée du chant, cœur et âme de la musique classique persane. En mêlant les grands classiques comme le mystique Rûmi (auquel il avait déjà consacré l’album Chants brûlés) aux poètes contemporains, il chante l’amour fou, celui qui affranchit de la raison et libère les sens pour atteindre la plénitude. À l’écoute de cet embrasement, universel dans son acceptation pour peu que l’on considère amour humain et amour divin indissociables, on se laisse entraîner dans un tourbillon d’émotions.
Avec ses ornementations vocales, les éclatants tahrir (coups de glotte), Alireza Ghorbani démontre de l’étendue de sa maestria. Entouré du jeune compositeur Saman Samimi et d’une nouvelle vague de musiciens iraniens, le vocaliste éperdu d’amour nous invite à prendre le sentier du « jardin des roses » que célébraient les plus grands mystiques soufis, tels Hafez, Rûmi et Saadi il y a sept cents ans déjà. Par les temps qui courent, retrouver le chemin du Gulistan et sa sérénité, relève d’une impérieuse nécessité.