Entre le parc Al-Azhar, véritable poumon de verdure du Caire, et le dédale de ruelles du quartier populaire de Al-Darb Al-Ahmar, des enfants marchent sur des échasses, tandis que d’autres volent presque à l’aide de sangles ou jonglent avec des massues, le tout sur un fond musical mêlant notes de trombones et rythmes de percussions… Pas de doute, vous venez de passer les portes de Al-Darb Al-Ahmar Arts School.
Cirque, musique ou encore danse contemporaine et théâtre, depuis le début de ses activités en 2012, cette école donne des cours peu communs aux enfants du quartier de Al-Darb Al-Ahmar. Plusieurs spécialisations sont proposées, pour une formation certifiante de deux ans ouvertes aux enfants, filles et garçons, de 8 à 18 ans.
Cirque et musique pour offrir une alternative aux enfants de Al-Darb Al-Ahmar
Al-Darb Al Ahmar est un quartier historique de la capitale égyptienne composé de petites rues sinueuses bordées de multiples mosquées et de monuments islamiques. C’est également un quartier d’artisans qui abrite notamment le dernier marché couvert de la ville, appelé le marché des fabricants de tentes, situé dans la rue Khayyammiya (soit rue des tentes en arabe), l’une des plus vieilles rues de la capitale égyptienne.
Fondée à l’origine par l’organisation culturelle Al-Mawred Al-Thaqafy en coopération avec Aga Khan Music Initiative – Aga Khan Development Network, l’école fonctionne aujourd’hui sous le patronage de la société El-Genina pour les arts et les services culturels. Elle continue néanmoins d’être associée à Aga Khan qui est la principale source de financement de l’école. Al-Darb Al-Ahmar Arts School est aussi soutenue par différentes structures ou instituts culturels.
Grâce à ces sources de financement, les formations proposées par cette école sont gratuites pour les enfants. La seule condition à remplir est de résider dans le même quartier que l’école. Un critère avant tout pratique puisque les sessions de cirque ou de musique commencent chaque jour juste après les heures de cours du cursus scolaire classique des enfants.
Al-Darb Al-Ahmar Arts School réclame un véritable engagement de la part des élèves qui doivent y passer quatre heures par jour cinq jours par semaines. Une assiduité récompensée puisque les enfants perçoivent une centaine de livres égyptiennes par mois et touchent une rémunération pour chaque représentation. Des petites sommes non négligeables dans ce quartier du Caire où le taux de pauvreté est élevé.
Au sein de ses nouveaux locaux, dans lesquels elle a déménagé au début de l’année, l’école dispose de nombreux équipements et d’instruments de musique de qualité. Salles de musique, studio de danse, locaux de stockage de matériel, petit coin lecture et même une grande cour dédiée aux cours de cirque, les infrastructures sont idéales. En outre, un médecin vient chaque semaine pour ausculter les élèves, en particulier ceux qui suivent les cours de cirque. Les élèves apprennent à jouer des instruments à percussion, des cuivres tels que le saxophone, la trompette, le trombone ou encore de l’accordéon et ils suivent des leçons de solfège. Les élèves bénéficient également de nombreuses masterclass données par des artistes égyptiens et internationaux, en particulier ceux qui sont programmés au théâtre Al Genina qui se trouve à quelques pas de l’école.
Lorsque l’école a réellement commencé ses activités, soit en 2012 seulement 20 élèves étaient inscrits. Cinq ans plus tard ils sont plus d’une centaine et les inscriptions ne cessent d’augmenter chaque année. Au départ, une majorité de garçons peuplaient cette école mais aujourd’hui ce sont les filles qui ont pris le dessus.
L’école compte déjà 42 élèves diplômés et, même si beaucoup de filles se sont ensuite mariées et ont mis un terme à leur activités artistiques, la plupart des anciens élèves travaillent désormais dans le milieu artistique et culturel. Comme par exemple la jeune Nada qui avait douze ans à son entrée à Al-Darb Al-Ahmar Arts School. Elle en a maintenant dix-neuf et, depuis qu’elle a terminé sa formation, elle travaille comme assistante pour les cours de cirque.
Proposer du travail aux anciens élèves diplômés fait partie de la logique de fonctionnement de l’école qui souhaite avant tout permettre à ces enfants de se construire un avenir différent de celui offert dans leur quartier. En effet, à part les métiers de l’artisanat, peu d’alternatives s’offrent aux jeunes du quartier. L’école essaie aussi d’aider ses élèves diplômés à ensuite poursuivre leur formation dans d’autres structures comme des conservatoires. Parfois l’école va même jusqu’à les soutenir financièrement dans leurs démarches et les frais que peuvent engager la poursuite de leur formation artistique. En contrepartie, une fois leur formation terminée les anciens élèves s’engagent à revenir travailler quelque temps pour l’école.
Balayer les idées reçues
Malgré un succès grandissant, l’école continue de faire face à des défis. Le plus grand est sans doute de réussir à dissiper les idées reçues de la société à propos des arts. L’utilité des formations proposées ou le temps passé par les enfants dans l’école sont des points qui soulèvent des interrogations voire de l’incompréhension de la part des familles. En effet, les enfants de ce quartier commencent souvent très jeunes à faire des petits boulots pour compléter les ressources de leur foyer et à se former à l’artisanat. Ils passent ainsi souvent à côté d’une partie de leur enfance. Il arrive donc régulièrement que les enfants demandent aux membre de l’équipe de l’école de convaincre leur parents de les inscrire à l’école, ou de les laisser achever leur formation artistique. Les professeurs ou la direction de l’école servent alors de médiateurs afin de montrer aux familles l’intérêt de ce que les enfants font dans leurs murs et l’importance d’une formation artistique pour la construction de leur avenir. Les réseaux sociaux de l’école, régulièrement alimentés sont aussi un moyen pour les parents de se tenir informés et de suivre les activités de leurs enfants.
L’école tient également à garder ses portes toujours ouvertes afin d’être parfaitement intégrée et acceptée dans le quartier. Ainsi n’importe quel parent ou habitant peut entrer, assister aux sessions organisées dans la cour de l’école où se tiennent généralement les cours de cirque. Ils peuvent même entrer librement dans les bâtiments pour découvrir ce qu’il s’y passe.
Les enfants, font également des performances dans différents théâtre en Egypte mais aussi parfois à l’extérieur comme en juillet 2016 en Tunisie et au Maroc. « Zambalek », « Balalaïka », « Lost and Found » ou plus récemment le « Flying Kids project », au cours des dernières années, l’école a conçu plusieurs spectacles alliant cirque, musique et théâtre.
Ces représentation leur permettent de mettre en pratique leurs aptitudes, mais c’est aussi pour les familles une sorte de témoin des compétences acquises par leurs enfants et une preuve de leur épanouissement. Articles de journaux, représentations dans des théâtres ou des festivals de renoms, autant d’éléments qui pèsent également dans la balance en faveur de la formation reçue par les élèves de l’école.
Redonner un souffle au cirque égyptien
Le cirque a une longue histoire en Egypte où il serait connu depuis l’époque des pharaons. Fait également marquant, le premier cirque établi au Moyen-Orient est le « Cirque du Caire » né en 1869. Cette première piste aux étoiles de la région faisait partie des nombreuses attractions organisées par le khédive Ismaïl Pacha en marge de l’inauguration du canal de Suez. Un peu moins d’un siècle plus tard, en 1966, Gamal Abdel Nasser, charmé par la qualité des spectacles vus lors de ses déplacements en URSS, lançait le cirque national égyptien. Bâti à Agouza, à proximité des rives du Nil, le cirque national du pays à très rapidement connu un succès et une réputation qui ont dépassé les frontières du pays.
Mais, dès le début des années 1970, entre la disparition de Nasser, la baisse des subventions publiques, l’arrêt des échanges culturels entre l’URSS et l’Egypte et la montée du conservatisme dans la société égyptienne, les activités du cirque national ont décliné.
Khawla Abu-Saada, la directrice de Al-Darb Al-Ahamar Arts School explique également que jusqu’au 19e siècle, le street circus était populaire dans le pays. Une tradition circassienne de rue mêlant musique, acrobatie et interaction avec le public. Une tradition que l’école souhaite faire revivre.
Une école au projet ambitieux et encore unique au Caire qui souhaite développer encore davantage ses activités. Elle a notamment l’intention d’organiser des échanges avec des écoles étrangères et en particulier avec des structures qui proposent des formations de cirque puisque jusqu’à présent, excepté Al-Darb Al-Ahmar Arts School, rien n’existe en Egypte. Mais, peut-être que d’ici quelques années les rues du quartier Al-Darb Al-Ahmar ne seront plus les seules du pays à accueillir des enfants qui marchent sur des échasses ou virevoltent dans les airs au rythme de leurs camarades soufflant dans des trombones ou jouant des percussions.