Le destin des anciennes salles du cinéma dans les pays arabes a ce triste sort en commun de déposer les clefs sous le paillasson. Transformées en projets immobiliers pour certaines ou abandonnées pour d’autres, rares sont celles qui ont résisté au temps et au cannibalisme des grands multiplexes. À Jabal Amman, Al-Balad Theater, ou Mashrah al Balad, a connu plusieurs vies. Les murs dressés depuis 1947, les intitulés du lieu sont nombreux ; Cinéma Venise avant d’être le Jordanien puis de se convertir en cinéma pornographique. En 2005, une équipe de chevronnés s’empare des clefs et en fait une institution dynamique de la vie culturelle jordanienne.
Scène et coulisses des principaux festivals
Au bureau de Mou’ath Isaeid, responsable de la communication et programmateur d’Al-Balad Theater, les affiches et les prospectus forment plusieurs piles. Les projets à monter sont nombreux et la gestion de ce théâtre unique accoisent tant les responsabilités de Mou’ath que sa détermination. Sa nature dynamique se dévoile dès le début de notre rencontre, lorsque d’un ton énergétique, il nous annonce : « Chaque année, nous organisons trois festivals par an et participons à la mise en place de plusieurs autres évènements ».
Dans cet espace indépendant de la capitale, la liberté d’expression est la valeur défendue et plusieurs artistes de la ville se sont vues donner leur chance ici pour se produire face à un public homogène, composé de locaux curieux et d’expatriés avides de manifestations culturelles.
Baladak festival
Organisé en mai, le festival BALADAK vise à promouvoir la scène arabe de graffiti. Ce rendez-vous a permis la rencontre de 50 artistes du Maghreb et du Moyen-Orient qui ont pu échanger autour de leur pratique et offrir au nouveau skate-parc de Amman une nouvelle vie, haute en couleurs. Pour que ces ponts de dialogue soient édifiés, plusieurs artistes ont reçu des bourses du festival pour permettre leur mobilité.
Al Balad Music festival
Al Balad Music festival est quant à elle, une semaine de célébration musicale où le chant engagé trouve sa place dans une programmation osée et variée. Des résidences d’artistes permettent à des artistes émergents de rencontrer des ainés plus confirmés et des spectacles ont lieu dans l’enceinte du théâtre romain de la ville. Des concerts se succèdent et ébahissent Amman, qui le temps du festival fait connaissance avec de nouveaux groupes et formations.
Une approche activiste pour une élévation des consciences
Ainsi, l’équipe d’Al Balad, fournit moult efforts pour renouveler sa sélection et surprendre continuellement son public en phase avec ses opinions politiques. L’année dernière, les festivaliers ont d’ailleurs pu découvrir « Hawa Dafi», un groupe originaire du plateau du Golan.
Le sens de l’engagement du théâtre se déploie dans d’autres projets tels que l’ « anti-apartheid week » ; « حصر حصارك», organisé par les actions BDS pour discuter autour du boycott et militer pour une meilleure représentativité des expressions artistiques palestiniennes.
Plusieurs troupes de théâtre issus des territoires occupés, prennent part d’ailleurs à l’organisation du Hakaya festival. Chaque mois de septembre, Al Balad Theater est ainsi investi par plusieurs troupes et conteurs et propose gratuitement des ateliers, pièces et performances en collaboration avec le réseau « Arab Education Forum ». Certains intervenants arrivent de Gaza et leur déplacement nécessite à chaque fois un long processus administratif, avec les différentes autorités concernées (le Hamas, l’Egypte, et la Jordanie). Des difficultés devant lesquelles l’équipe du théâtre ne baisse pas les bras, mais qui deviennent plus compliqué à affronter aujourd’hui.
Pour sa 8ème et dernière édition, le festival a pu bourgeonner, aussi en régions où des projections de films, des séances de lectures, des sorties et des signatures de livres ont pu être réalisées.
Un challenge ambitieux : la décentralisation
Faire vivre la culture au delà des frontières de la capitale est ainsi le nouveau défi des petites et peu nombreuses mains du Al Balad Theater. Depuis, l’année dernière des spectacles ont lieu dans différentes écoles et voyagent aussi dans le milieu rural.
Cette croissance externe est possible, grâce notamment au soutien de fonds suédois et du Goethe Institute qui ont permis au théâtre de développer une large politique de diversification des offres. « Mon histoire est une longue histoire », ou«Hikayti Hakaya» est ainsi un projet de publication qui a pu voir le jour en 2013 et qui est aujourd’hui distribué à l’international. Un livre bilingue anglais-arabe compile les récits de vie de 1000 réfugiés syriens qui relatent par la force de l’écrit leur expérience et préservent ainsi leur mémoire. Ce beau projet collaboratif a réussit à voir le jour grâce à la mutualisation de plusieurs efforts et à l’efficience du travail en réseau. Ainsi, la création du « Hakaya network ». et le soutien de différentes organisations telles que l’Arab Education Forum ou encore le Cultural Heritage without Borders (CHwB) ont été déterminants pour le succès de l’initiative.
Aujourd’hui, le livre est disponible dans les camps de Zaatari, au Liban, en Turquie et en Grèce, dans l’attente qu’un nouveau lot soit imprimé et diffusé en Suède.