C’est à l’occasion de notre court séjour à Annaba, dernière étape du parcours algérien, que nous avons rencontré Adel Bentousi.
L’artiste, formé aux beaux arts de la ville, nous relate son trajet artistique sinueux qui le mènera sur les sentiers de l’art contemporain.
Des prises de positions dérangeantes
Alors qu’il est étudiant aux beaux arts d’Annaba, Adel a déjà une expression engagée; il fait du nu et ne s’interdit pas de sujet sensible dans son travail.
Les travaux d’Adel dérangent, ses positions sont contestées par ses professeurs et lui valent même de passer en conseil de discipline puis d’être renvoyé de l’école. En dépit de sa demande de réintégration et sa lettre au ministère de la Culture, Adel ne réussira pas à réintégrer l’école.
Mais au lieu de l’exclure de la sphère de la création artistique, cette péripétie personnelle l’amènera sur des sentiers artistiques nouveaux. Pour incarner ses déboires d’incommunication sociale, Adel crée alors un personnage qui reflète cet esprit de rébellion qui l’habite. Son exutoire devient alors l’internet, où la « jeunesse s’intéresse à cette expression toujours engagée ».
Petit à petit, son œuvre recevra l’audience qu’elle mérite en Algérie puis voyagera à l’extérieur du pays. Adel ira même faire des résidences à Marrakech et à Dunkerque et exposer au Sénégal. Mais en Algérie, les œuvres de Adel dérangent encore. Quelque soit le lieu d’exposition, l’artiste ne censure nullement son travail et avoue qu’il « tient aussi à son statut d’indépendant car le monde politique est très vite écrasant. »
Une réflexion sur la société
Dans son travail, Adel s’intéresse beaucoup à la personnification sociale. Pour représenter le jeu social de la société algérienne, il utilise un moulage unique et façonne les différences comme purement décoratives. Bien que dotés d’une forme uniformisée, les personnages peuvent sembler différents par un maquillage extérieur dont ils se gargarisent.
Mais en dépit de ce formatage, un réel mouvement se dégage des œuvres de Adel :
« Je cherche à faire bouger les personnages sur la peinture mais au-delà de ce mouvement pictural, le message que je veux faire passer c’est de faire bouger la société qui reste un peu immobile ».
Pour Adel, l’art est le support de ses idées et il a mal vécu l’imposition de la peinture classique aux beaux arts. Il multiplie très vite les supports afin que son expression puisse se libérer et épouser les contours esthétiques photographiques ou s’animer de mouvement avec les vidéos. Dès 2009, il se met aussi aux collages à partir de titres de journaux avec la même volonté de bousculer les codes artistiques sclérosés.
Une des performances phares de Adel, qu’il a d’ailleurs présenté à Picturie Générale, est un autodafé de ses propres œuvres. Pour lui, l’autodafé avait un double objectif
« Je me sentais prisonnier de mes personnages qui gisaient dans leur propre immobilisme. J’ai donc voulu les brûler pour symboliser un nouveau départ artistique mais aussi pour conceptualiser la valeur qu’attribue la population algérienne à l’art ».
Pour Adel, la critique ne s’arrête pas à la valeur de l’art, il touche souvent à des sujets qui restent sensibles dans la société et cherche à déconstruire plus généralement toutes les certitudes qui la traversent. L’artiste s’intéresse notamment aux certitudes religieuses en les questionnant toujours avec subtilité. Il déconstruira , par exemple, physiquement la figure mystique du cube en l’ouvrant, ce qui donne une croix.
Cette déconstruction physique a donc aussi une dimension intellectuelle qui pousse les gens à s’interroger sur les relations entre des monothéismes qu’on évoque davantage par les différences que les ressemblances. Mais souvent, les réflexions d’Adel sont incomprises et jugées extrémistes. Mal accueillies en Algérie, les œuvres de Adel s’exportent plus qu’elles ne touchent la société algérienne.
« On est resté dans la consommation des choses. Il n’y a pas de réel intérêt pour l’art, pour nous l’œuvre doit servir à quelque chose,. On est un peu dans le prestige, la décoration. »
Dans sa série « Just for gold », Adel aborde justement ce sujet, à travers une interprétation de l’opportunité indexée sur le revenu. Dans ses dessins frêles et fins qui naissent sur des arabesques, on retrouve en effet des personnages entourés d’un éclat doré disparate.
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Qu’il soit à l’intérieur du cercueil ou sur les tapis de prière, l’or est là pour symboliser cette quête absolue de l’individu aujourd’hui, avide d’une réussite purement matérielle, y compris dans sa pratique spirituelle.
La critique sociale acerbe et décapante d’Adel le positionne donc comme celui qui, malgré sa discrétion, déconstruit les tabous et les sujets sensibles de la société algérienne.
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