A l’ouest du Jourdain : carnet de bord du conflit

Credit photo: Sophie Dulac production

Dans la continuité de son documentaire Journal de Campagne, tourné en 1982 lors de l’invasion du Liban, le réalisateur israélien Amos Gitai est retourné en Cisjordanie avec une caméra et un traducteur. Donnant la parole à des politiciens, des civils et des acteurs de la paix, il traque l’espoir là où il se trouve.

Une mosaïque de témoignages

Avec Journal de Campagne, Gitai tournait un documentaire expérimental, assemblage de plans séquences et de plages sonores entêtantes, avec pour sujet  »les manifestations et les raisons de l’occupation (de la Cisjordanie et du Liban) ». A l’ouest du Jourdain est un film plus structuré, divisé en petits chapitres comme autant de rencontres avec Palestiniens et Israéliens, des rues de Hébron aux bureaux des politiciens.

Quelques séquences sont des archives datées des années 1990, marquées par l’espérance d’une résolution du conflit, avec la figure du premier ministre travailliste Yitzhak Rabin. Gitai l’a interviewé quelques mois avant son assassinat, survenu en novembre 1995. D’autres interviews de politiciens israéliens, datant de 2016, viennent évincer le discours pacifiste et rationnel de Rabin. Mises en scène devant un fond noir, les rencontres avec des figures politiques conservatrices telles que Tzipi Hotovely, membre du Likoud, ou Tzipi Livni, ancienne ministre des affaires étrangères, mettent en exergue une pensée figée, intolérante et coupée de la réalité. La caméra de Gitai a vite fait de retourner dans les rues, là où les témoignages sont les plus évocateurs.

Rentrer dans les cercles

Gitai s’intéresse aux cercles, d’hommes ou de femmes, et tente de s’y faire une place en provoquant le dialogue. C’est lui qui interroge un groupe d’hommes à Hebron, endeuillés par le meurtre d’un jeune homme, ou une association de femmes palestiniennes dans la même ville, qui témoignent des exactions de Tsahal avec des caméras. Le réalisateur ne censure pas les chapitres dans lesquels les témoins manifestent des critiques radicales de la politique du gouvernement israélien, voire même des discours de résistance violente, quand un enfant affirme rêver de devenir martyr. Gitai, impuissant lors de la scène, choisit de montrer à la suite de celle-ci une école récemment construite en Palestine au nez des autorités. En dépit de sa bonne volonté, il est surprenant de constater que le réalisateur ne parle toujours pas arabe : il y a toujours un traducteur entre les témoins et lui. Les Palestiniens semblent, eux, trente cinq ans après Journal de Campagne, maîtriser fréquemment l’hébreu. Il y a là aussi une bataille qui se joue.

Observer et agir

Si Journal de Campagne est un documentaire frappé de stupeur, comme dans le plan séquence montrant l’avancée de Tsahal dans un Liban en ruine, A l’Ouest du Jourdain se veut plus agissant. L’urgence d’une résolution du conflit se fait sentir, en vue de la colère et de l’épuisement des témoins, manifeste aussi bien dans la rue que dans les discours patriotiques et mortifères des politiciens. Le réalisateur semble être lui-même dans un état de nervosité, d’urgence qui le pousse à sortir parler. Contrairement à son premier film, Gitai est moins souvent enfermé dans sa voiture. Dans Journal de Campagne, il promet à des femmes palestiniennes dont les champs d’oliviers ont été détruits en une nuit par des bulldozers israéliens, de porter plainte en leur nom.

Dans A l’Ouest du Jourdain, il s’empresse de donner une voix à tous ceux qui réfléchissent encore à une stratégie pour la paix. Le documentaire montre notamment des militants de l’association Breaking the Silence, qui témoigne des traumatismes vécus par les soldats de Tsahal. Gitai interroge également le journaliste du quotidien de gauche Haaretz, Gideon Levy. Celui-ci donne le signal d’alarme le plus important du film : en poursuivant sa politique d’occupation, l’Etat israélien risque d’atteindre un point de non retour et de compromettre son identité démocratique prévient-il. Au vu de ce film et des événements de ces cinquante dernières années, n’est-ce pas déjà arrivé?