Pour cette nouvelle saison Lettres ouvertes, de la calligraphie au street art, l’Institut des cultures d’Islam propose un dialogue entre lettres anciennes et expressions contemporaines, entres grands maîtres et artistes émergents, tout en rassemblant les arts plastiques, arts visuels et performatifs. L’enjeu est de taille : consacrer une saison toute entière à la calligraphie, littéralement « l’art de l’écriture de la lettre », une discipline peu connue et pouvant apparaître comme bien lointaine ou encore réservée aux initiés. Que nenni, le pari semble réussi.
Les oeuvres de plus de dix artistes internationaux habitent les murs de l’Institut des cultures d’Islam et rendent compte de l’évolution des techniques et des approches de la calligraphie.
La calligraphie se voit ici élargie au monde profane, délaissant pour un temps sa fonction première de « porte-parole » du divin. Avec sa sculpture intitulée Le Paradoxe (2003), Mounir Fatmi questionne par exemple la notion d’interprétation du texte sacré et du libre arbitre face à la religion.
Au delà de la fonction même de la calligraphie, les artistes présentés s’affranchissent également des matériaux traditionnels tels que les pigments et le roseau utilisés pour sa pratique traditionnelle. On note, dans ce sens le travail de l’artiste plasticienne Sara Ouhaddou autour d’une oeuvre en vitrail. A partir de la superposition entre des lettres arabes et des zelliges marocains, elle offre à la lumière du jour, tout en le rendant illisible, un extrait du Prophète de Khalil Gibran.
Plus encore que la question du lisible ou de l’illisible, le fil directeur de l’exposition semble résider dans la question de la signification donnée à l’écriture, de l’attachement au sens des mots représentés. Que devient la calligraphie, que devient l’écriture lorsque les mots ne font plus sens ? Ou lorsqu’il n’y a plus de mot ?
Née en Iran, l’artiste Parastou Forouhar s’ancre dans cette réflexion au travers de son installation Written Room, investissant une salle entière où les murs blancs se font le papier d’une oeuvre immersive. L’effet produit par une multitude d’inscriptions peintes en persan du sol au plafond, associées au tourbillon de balles de ping pong envahissant la salle, nous prive à la fois d’une compréhension du texte et d’une vision strictement linéaire de l’écriture : elle semble perdre tout son sens, réduite à sa seule fonction ornementale.
Le tournis se poursuit pour le visiteur avec le travail expérimental et immersif du street artiste L’ATLAS. Autour de l’idée de labyrinthe fluorescent formé par la répétition de son blaze, il explore la calligraphie coufique, une forme ancienne et carrée de calligraphie présente sur de nombreux monuments musulmans. La salle noire capiteuse où est disposée l’oeuvre ainsi qu’une bande sonore de prières chamaniques nous offrent une seconde expérience immersive, poursuivant, d’une part, une réflexion sur la dimension onirique de la calligraphie et, d’autre part, une expérience sensorielle presque étourdissante de la répétition du motif.
La place laissée au street art dans cette exposition ne s’arrête pas là. Ainsi, l’égyptien Ammar Abo Bakr dévoile une fresque-manifeste critiquant les exactions du pouvoir égyptien lors de la Révolution et redonne au sens des mots une place centrale, nous rappelant le lien intime entre écriture, morphologie de la lettre et contestation politique ou sociale.
La finesse de la réflexion s’accorde avec une scénographie bien menée, malgré la répartition de l’Institut des cultures d’Islam sur deux sites. Pour finir, on quitte l’exposition aussi curieux que surpris. On aime voir rassemblés des artistes de notoriété et d’horizons très divers : une salle voit ainsi cohabiter les oeuvres d’Etel Adnan, du tunisien Khaled Ben Slimane et de l’artiste japonaise Mari Minato. On approuve la volonté claire de traiter de la dimension charnelle de la calligraphique en mettant à l’honneur la relation entre écriture et mouvement tant dans l’exposition que dans la programmation. C’est ainsi que Nja Mahdaoui, artiste tunisien mis à l’honneur cette saison et défenseur d’une réflexion sur le « corps-écriture », nous confie en parlant de son travail :
« Je ne suis pas calligraphe, je suis passionné par la morphologie de la lettre. Ce n’est pas mon affaire d’écrire ».
Lettres ouvertes de la calligraphie au street art – EXPOSITION – CONCERTS – FILMS – DÉBATS
Un exposition à découvrir 21 septembre 2017 au 21 janvier 2018 à l’Institut des Cultures d’Islam
En partenariat avec la fondation Dar El-Nimer for Arts & Culture
Commissariat : Bérénice Saliou