Dans Antigone of Shatila, le dramaturge Syrien Omar Abusaada revisite Sophocle et donne une nouvelle dimension à son œuvre, jouée par 8 réfugiées Syriennes, dont les histoires personnelles se mêlent à celle d’Antigone, qu’elles incarnent toutes à leur manière.
Une pièce poignante qui, pour sa première européenne dans le cadre des Rencontres à l’échelle, à Marseille les 29 et 30 janvier, a fait salle pleine et a conquis le public.
Pour resituer l’histoire originelle d’Antigone, rappelons qu’alors que ses deux frères, Polynice et Etéocle meurent en s’affrontant pour la conquête du pouvoir, Antigone brave l’interdiction émise par le roi Créon, son grand-oncle, d’enterrer et d’offrir une cérémonie funéraire à Polynice.
Son affrontement avec Créon, sa fougue et son caractère en font un des personnages de théâtre les plus emblématiques de la lutte contre l’ordre établi et de la rébellion. Chez Sophocle, elle était l’amour contre la raison d’Etat, chez Anouilh la Résistance face à l’occupation.la
Antigone of Shatila, porteuse d’espoir
Chez Omar Abusaada, c’est l’espoir qui est porté par ces Antigone du quotidien qui s’approprient le texte ; pour raconter leurs histoires, leurs drames, mais également leurs bonheurs, leurs espérance de jours meilleur ; et qui, tout au long de leur parcours, ont eu face à eux des Créon, à leur côté des Polynice.
A travers un journal intime nous est racontée la genèse de la pièce, le combat de ces femmes pour devenir Antigone. De leur réserve initiale à l’identification quotidienne au personnage. A sa remise en cause, aussi.
Si Antigone n’avait pas été une princesse, aurait-elle eu le courage de faire ce qu’elle a fait ?
Si la fonction cathartique du théâtre joue à plein dans Antigone of Shatila, c’est bien parce que, plus que jamais, l’histoire de la princesse de Thèbes reste d’actualité et résonne dans l’histoire et le parcours de ces femmes qui ont tout laissé derrière elles pour se réfugier à Chatila ou ailleurs dans les camps qui bordent Beyrouth.
J’adore ce texte. J’ai toujours voulu l’adapter, même avant 2011. Je pense que la signification de ce texte est restée vivante à travers les époques. L’histoire d’Antigone a en trame de fond une guerre civile menée par deux frères ennemis, ça ressemble à la Syrie. Je voulais également travailler et me concentrer sur un personnage féminin, oppressées et qui essayent de se battre contre cela.
Remettre les réfugiés au centre de leur histoire
Derrière leur parcours individuel se dressent, en vue d’ensemble, les ravages collectifs du carnage syrien. Du quotidien fait de bombardements, d’enlèvements, du deuil d’un frère, resté en Syrie, qu’on ne peut pas enterrer. Pour 8 Antigone sur la scène, combien d’Antigone, en Syrie ou en exil ? En pleine « crise des migrants », Omar Abusaada est conscient de l’enjeu porté par les représentations européennes de la pièce.
Ça donne une image différente des réfugiés, la pièce présente un récit différent de leurs histoires que celle que l’on voit et que l’on entend tous les jours.
Il s’agit, ni plus ni moins, de remettre les réfugiés au centre du récit, qu’ils soient, non plus une formulation médiatique mais leur propre média et d’en maîtriser la narration.
Née d’un travail collectif de partage et d’échanges entre Omar Abusaada et Mohamed El Attar (metteur en scène de la pièce) et les participantes au projet, Antigone of Shatila est d’une puissance saisissante, porté par des actrices littéralement habitées par leur texte.