De la résistance culturelle dans le monde arabe

Syrian Spring. Crédit : Tamam Azzam

C’est un projet formidable, généreux, profondément humain et je ne peux que y adhérer
Yasmina Khadra

Un projet extrêmement intéressant et particulièrement original pour l’accent mis sur l’aspect culturel.
Sâad Khiari

Une initiative louable, nécessaire et courageuse.
Mahi Binebine

J’adhère complétement à l’initiative. C’est une juste réplique à la situation actuelle, avec un texte fondateur.
Nabil Ayouch

L’épouvantail terroriste a encore frappé. Aucun territoire n’est aujourd’hui à l’abri de cette menace barbare qui déclare ouvertement la guerre à la culture en y laissant des innocents.

En 2001, les Talibans s’attaquaient déjà aux Bouddhas de Bâmiyân et détruisaient ainsi les gigantesques statues, témoins d’un art bouddhique majestueux. Aujourd’hui, le monde assiste à nouveau à la destruction de son patrimoine universel. Les récentes attaques en Irak et en Tunisie glacent d’effroi et ne peuvent que susciter l’indignation. Dans ce contexte, la nécessité de faire naître une résistance culturelle se fait urgente.

Les musulmans, de foi et/ou de culture, doivent construire une réponse face au terrorisme. Nous sommes les premiers concernés par ce fléau et en sommes les premières victimes, par les préjugés qu’il engendre, mais avant tout par sa folie meurtrière. Nous devons aussi y faire face car le mouvement prédominant du terrorisme se réclame de cette religion.

Loin de nous l’idée de répondre à la violence par la violence, nous pensons fermement que l’alternative et le nouveau visage du militantisme ne peuvent être que d’ordre culturel et éducatif. Face à l’impuissance des individus de contrer un extrémisme aussi structuré et à l’incapacité de la communauté internationale à répondre à cette cruauté investie au nom du djihad, le temps de la réflexion se consume et la réaction devient un impératif. Si arme de la défense doit être prise, c’est bien celle de la pensée et de la création.

Universe. Crédit : Tamam Azzam

Universe. Crédit : Tamam Azzam

Dans un contexte où les yeux du monde sont rivés sur l’Orient, l’influence accrue d’une image alliant extrémisme religieux et arriération sociétale alimente des préjugés ignorant les apports de ce berceau civilisationnel et ses remises en question.

D’une part, l’échec des idéologies du nationalisme, du panarabisme et des tentatives de modernisation par le haut ont laissé les populations en proie à un déracinement chronique. Ce dernier s’est le plus souvent accompagné d’une tendance à l’acculturation par l’adoption tantôt consciente, tantôt inconsciente des codes occidentaux. L’extrémisme islamiste s’est alors habilement emparé de cette crise identitaire avec la promesse d’une reconstruction par le bas, étayée par des arguments populistes et nostalgiques de la domination arabe. La volonté de faire table rase du passé pour endoctriner les populations ex-nihilo est illustrée par les actes de destruction du patrimoine. Ceci s’explique par la volonté d’annihiler aussi bien l’Histoire et la culture des pays que ce qui relève des échanges avec l’Occident avec l’unique argument d’autorité religieuse.

L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence… Voilà l’équation.
Averroès

D’autre part, la vision véhiculée par certains courants occidentaux, qui ne mettent le projecteur que sur cette triste part de l’actualité, contribue de facto à associer la représentation de l’Orient aux forces qui cherchent justement à l’anéantir culturellement. De plus, cette vision est appuyée par une croyance ancrée qui relègue l’Arabe à son identité religieuse majoritaire. En s’appropriant cette logique, l’Occident a réduit sa perception de l’identité des peuples de cette région, éliminant des pans entiers de leur histoire et de leur culture.

Ainsi, entre un extrémisme religieux institutionnalisé par l’Organisation- dite de – Etat islamique, des régimes autocratiques qui instrumentalisent l’islam pour servir leurs intérêts, et un Occident qui, frappé par le terrorisme, tend à diaboliser la religion au lieu de punir les hommes; les musulmans se retrouvent en perte de repères spirituels et victimes de la politisation à outrance de la religion. Vidée de sa substance spirituelle et mystique, la religion se retrouve ainsi paradoxalement sous le joug des hommes qui la manipulent selon leur bon vouloir. Au lieu de provoquer une effervescence critique qui remettrait la philosophie, l’art et l’ijtihad au goût du jour, ces raccourcis sont combattus, d’une rive à l’autre, par la violence ou la psychose sécuritaire. Ils alimentent ainsi leur diffusion au lieu de la réduire.

Les intégristes extrémistes font une allergie sévère aux arts, aux artistes et à ceux qui aiment les arts. (…) Ils n’aiment pas l’histoire sauf quand elle glorifie l’imaginaire débile de leurs héros dont ils ne cessent de raconter les épopées rêvées.
Saad Khiari

Face à ce constat, nous avons imaginé un projet qui consiste en une rihla رحلة (déplacement physique et voyage existentiel) de six mois, au Maghreb et au Moyen-Orient, pour aller à la rencontre des forces vives qui donnent un nouveau souffle à la création arabe, représentent son avenir et construisent son futur patrimoine. Ce projet entend participer à la réhabilitation d’une mémoire collective pour une nouvelle interprétation de la richesse et de la complexité identitaire des pays de la région.

Ce projet, ONORIENTOUR, est une immersion au cœur des scènes culturelles du monde arabe, là où le bouillonnement est le plus créatif et brûlant. Il est une quête vers les ponts entre ces mondes, un projecteur mettant en lumière la créativité d’une région qui a mille et une histoires à nous conter. ONORIENTOUR est une investigation pour établir un état des lieux de ces sociétés tourmentées et en reconstruction, dépourvu d’une approche occidentalo-centrée et respectueux des cultures locales.

Notre observation veut se tourner vers les productions contemporaines, à travers lesquelles transparaissent les thématiques de prédilection et les engagements personnels sublimés par le processus créatif. Le poids des traditions, le rapport au corps et au religieux ainsi que les frustrations issus du rapport de force avec l’Occident y sont symbolisés, déclinés selon les particularités historiques et géopolitiques de chaque pays.

Notre rihla رحلة nous permettra aussi d’apprécier les contours de l’art populaire, qui, émanant, des profondeurs de ces sociétés, exprime une colère surmédiatisée pendant le Printemps arabe et néanmoins délaissée quant à sa dimension créative et à ses évolutions actuelles. Il utilise différents médiums et mêle des causes de société, de la colère et de l’amour mais voyage difficilement en dehors des frontières de son pays d’origine.

À travers ce projet, l’idée qui nous anime est que la création artistique de la région est un élément de compréhension de la richesse culturelle et des enjeux de société actuels au Maghreb et au Moyen-Orient.

Nous sommes cinq voyageurs en quête de la rencontre de ceux qui, par l’expression de leur sensibilité singulière, font battre le cœur artistique du monde arabe d’aujourd’hui et incarnent l’avenir de cette région. Mais, ce projet représente surtout une volonté d’étancher une soif d’Histoire, de prendre conscience de l’importance d’un vaste patrimoine et une détermination à aller au-delà de la frilosité ambiante pour témoigner de l’éternelle profusion à laquelle invite la terre d’Orient.

La réponse à la crise actuelle réside dans une résistance culturelle qui transmet le flambeau de l’Histoire aux nouvelles générations afin qu’elles puissent éclairer de nouveaux horizons.

Tribune co-écrite par Oumayma Ajarrai, Hajar Chokairi et Ghita Chilla

 

 

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