Il y a 25 ans, le mur de Berlin tombait. Connected Walls nous rappelle que 41 murs séparent encore des populations dans le monde, notamment entre le Maroc et Ceuta, les USA et le Mexique, démarcation du Nord et du Sud.
Connected Walls a demandé à quatre réalisateurs, vivant des deux cotés des barrières entre le Maroc et l’Espagne, et entre le Mexique et les Etats-Unis, de filmer ces murs, leurs populations, leurs problèmes, dans un travail collaboratif et interactif. Un projet interactif, puisque l’internaute est au cœur de celui-ci, ayant à voter et à choisir le sujet des capsules documentaires réalisées par les cinéastes. Tous les dix jours, pendant deux mois, ils réaliseront des vidéos, mi-documentaire, mi-journal, sur le thème qui sera voté par les internautes.
Première plongée, émouvante, le long de ces murs, avec Youssef Drissi et Irina Gutierrez, qui nous emmènent, le temps de 5 minutes, à la frontière maroco-espagnole, à Ceuta. Quiconque a déjà franchi ces frontières, parcouru les routes environnantes, sait l’humiliation qu’elle porte, la violence qu’elle représente, hantée par les hordes de migrants subsahariens qui rôdent aux alentours, dans l’espoir de la franchir.
Que n’avons-nous pas été écœurés par cette image, choquante, de ces migrants subsahariens escaladant, dans le dépouillement le plus extrême et au péril de leur vie, la barrière de séparation longeant un golf de luxe à Melilla ? Etape ultime du dispositif quasi-militaire FRONTEX, ce mur représente cette politique d’exclusion dans tout son cynisme.
Il est l’un des quatre murs séparant l’Union européenne, paradis démocratique et économique fantasmé, de son environnement immédiat, et tellement à craindre, après tout. Désastres économiques, ils coupent des territoires entiers de leur environnement économique, contribuent à la paupérisation des populations qui y vivent, et sont la cause même des symptômes qu’ils prétendent combattre. Le racisme rampant qui se développe au nord du Maroc, n’est que le résultat de ces politiques d’exclusion et de rejet de l’autre. Les multiples migrants subsahariens tués au Maroc sont autant de victimes de ce mur.
Si tu vas à la barrière, on va peut être te tuer, ça ne vaut pas la peine d’y aller.
Le documentaire montre la dureté de la vie, la violence extrême à laquelle sont soumises les personnes qui vivent aux alentours, qu’ils soient résidents, liés depuis des générations à un territoire désormais coupé en deux, ou qu’ils soient de passage, en attendant de traverser vers un eldorado qu’ils peuvent voir du haut de leurs montagnes.
Parti à la rencontre des migrants subsahariens qui attendent leur chance dans les montagnes côté marocain, Youssef nous fait partager les conditions de vie effroyables dans lesquelles ils vivent, mais également leur foi en eux-mêmes, leur envie de traverser cette barrière coûte que coûte. Irina nous montre l’intérieur des camps de rétention, les sévices qu’ont subi ceux qui y vivent.
Court, intense, centré sur l’humain, cette première capsule nous donne à voir la frontière d’un autre œil : oubliées les analyses géopolitiques, oubliées les images de vidéosurveillance montrant le déferlement de migrants sur la barrière, les réalisateurs donnent la parole aux migrants, dans leurs conditions de vie, au milieu de la violence institutionnelle, symbolique, et physique qui y règne.
Comme les quarante autres murs qui divisent le monde, celui-ci est générateur de drames, de racisme, de divisions. En interdisant les mouvements humains, ils inhibent tout esprit de créativité, tout échange culturel, et se dressent, hauts, froids, infranchissables, face à l’humanité dans sa plus belle dimension, sa diversité.
Connected Walls, en ce sens, est une initiative formidable, elle jette un nouveau regard sur une situation jusque-là abordée sous l’angle des chiffres, des statistiques, et d’un traitement médiatique au mieux déshumanisé, au pire raciste. Parce qu’elle comprend que la mobilité est l’essence de la richesse, de l’échange, de la compréhension et de la solidarité mutuelle, et que l’humanité a beaucoup plus à perdre à se diviser qu’à s’unir, Connected Walls a déjà réussi une partie de sa mission.