Ashkal Alwan, une association libanaise pour les arts plastiques créée à Beyrouth en 1994 par Christine Tohmé, propose un espace permanent dédié à l’art contemporain, à la production et à la formation. Dans leurs locaux de plus de 2000m², espaces de travail et d’exposition, salles de conférence, un studio d’enregistrement et de montage et une bibliothèque multimédia sont à disposition des artistes-étudiants et du public.
A l’origine, c’est sans fonds et sans espace dédié qu’Ashkal Alwan, s’est engagée dans la promotion de l’art contemporain dans l’espace public à Beyrouth. C’est ainsi que des sites emblématiques de la capitale libanaise comme le jardin de Sanayeh, Sioufi et la Corniche ont été le support des premières interventions jusqu’à un événement à Hamra après lequel l’association s’est imposée comme un nouvel acteur incontournable du milieu. Diversifiant ensuite ses activités, l’association a continué d’organiser des festivals ponctuels : Home Works Forum, tous les deux-trois ans, incluant workshops, conférences, débats, performances théâtrales et plus globalement tout type de pratiques culturelles et, plus régulièrement, Video Works, un programme de soutien à la production vidéo.
Le Home Workspace Program/HWP est une étape supplémentaire dans la mise en valeur de l’art contemporain au pays du cèdre. Plateforme éducative originale, ce programme d’étude annuel, totalement indépendant des autres activités de l’association, a des ambitions bien plus larges. C’est particulièrement la pratique artistique des jeunes artistes qui retient l’attention. En effet, l’association offre à des créatifs les moyens de développer leurs projets et leurs pratiques artistiques autant que leurs connaissances théoriques et leur esprit critique. Dans un cadre dédié stimulant et à travers dix mois de workshops thématiques successifs –théorique et pratique, chacun est amené à tester ses ressources. Fixé par des professeurs résidents conviés par le comité en charge des programmes (Jalal Toufic et Anton Vidokle pour 2013/2014), le programme d’étude de chaque année permet d’aborder des thèmes variés avec l’appui de nombreux intervenants invités ponctuellement.
Une école de la créativité
Le fil rouge des interventions est l’interrogation de la place et de la pertinence de l’art, la culture et la pensée critique dans un environnement précaire et une « réalité civique singulière« , précise Amal Issa, la directrice d’HWP. La promotion actuelle, un noyau d’une quarantaine de personnes entre 22 et 40 ans, compte évidemment des artistes mais aussi des écrivains, des architectes ou des spécialistes du son. Au total, ce sont plus de 200 personnes qui se sont toutefois inscrites pour des périodes plus ou moins longues. L’an prochain, 20 étudiants permanents suivront l’ensemble du programme à titre gratuit (avec quelques bourses additionnelles), et l’ensemble des workshops du programme sera également accessible au public après inscription. La diversité des profils des participants est augmentée par les aires géographiques desquelles ils sont issus. Le programme vise les Libanais et plus largement les ressortissants des pays de la région mais des étudiants de Corée du Nord, d’Islande, du Portugal ou encore d’Angleterre participent également aux sessions.
▲Heroes of a Transitional Time de Haig Papazian lors du HWP. Photo : Marwan Tahtah.
Si la dimension « transmission de savoir » est importante dans le programme, Amal insiste sur un point : « Le programme n’est pas là pour palier aux défaillances des formations en arts des pays de la région. Nous ne proposons pas un programme académique en tant que tel. Ca ne nous empêche pas d’être exigeants« , précise t-elle. Le Home Workspace Program se veut plutôt un riche complément thématique évoluant chaque année pour des étudiants qui ont déjà suivi au moins une licence ou qui se sont montrés particulièrement investis dans le milieu.
Ce moyen de développer différemment la sensibilité des jeunes artistes et d’avoir un regard critique sur l’environnement dans lequel ils évoluent est d’autant plus important depuis que le marché de l’art se ré-intéresse à la production de la région. « Depuis les révolutions arabes et le développement des grands musées internationaux décentralisés, la région connaît un regain d’intérêt de la part des étrangers. Les artistes et la culture dans le monde arabe sont devenus objet d’intérêts grandissants sur lesquels les gens misent dans le marché de l’art« . Mais Amal continue en soulignant le risque que les artistes soient désormais remarqués moins pour leur art que pour ce qu’ils représentent dans un certain imaginaire collectif, réduit aux conflits et aux révolutions.
Une indépendance toujours pas évidente
Cette remarquable initiative, qui choie sa liberté et l’indépendance de ses choix, n’est par ailleurs pas pour autant soustraite aux difficultés qui frappent toujours les structures culturelles. Comme beaucoup – et encore plus depuis que son budget a été multiplié par trois avec la création de cet espace, elle dépend des fonds que les organisations et donateurs privés veulent bien lui allouer, l’association ne pouvant prétendre à de quelconques subventions publiques de la part de l’Etat libanais. Jusqu’à présent, le HWP d’Ashkal Alwan bénéficie néanmoins d’un solide réseau de contributeurs qui lui permet de rester à la hauteur de ses ambitions.
Loin des circuits internationaux et de la spéculation sur le marché de l’art, Ashkal Alwan invite donc à soutenir l’art contemporain dans le monde arabe, celui des arabes ou celui d’étrangers venus y travailler. Dans toute sa diversité et sans limites.