Traduit en 2013, le roman Vies voisines de Mohamed Berrada dissèque un demi-siècle de la société marocaine, en abordant l’histoire de trois protagonistes.
A propos de la vie, un écrivain français disait qu’elle n’était autre qu’un long fleuve tranquille et que pour sa traversée, il suffisait d’éviter les rives. Anodin, simple et sans grand tracas. Comme si on souhaitait oublier qu’elle n’était pas faite d’imbroglios et d’imprévus venus tout chambouler. Comme si on feignait d’ignorer que la destinée, tant sacralisée, n’était au final qu’un ensemble d’expériences et de tâtonnements. C’est du moins ce que contredit la récente traduction de Vies voisines de l’auteur marocain Mohamed Berrada. Traduit de l’arabe, on y confronte le récit de trois vies différentes que rien ne semble lier, mais que pourtant tout relie, à commencer par l’ultime fin.
Tableau d’une société
Le tableau esquissé par l’auteur est celui de trois personnages, Naima, une femme qui se dit être émancipée, libre de tout attrait de la monotonie, le fils de H’nia, un homme du peuple, charmeur et débrouillard, puis enfin Wariti, vieux politicien ayant fait son temps, aux désirs enfouis et à qui il ne reste que les réminiscences d’un temps défunt. Mohamed Berrada, revenant sur le parcours de chaque personnage à qui il donne la parole, parvient à recoudre une histoire entremêlée et sombre. Celle de l’après indépendance et des années de plomb. Il y dessine ainsi une image délurée et vive de la société marocaine, de ses craintes comme de ses fantasmes. Le sexe et le rêve y trouvent une place bien particulière, étant donné leur statut de lien indélébile qui ne s’use pas. C’est grâce à ces derniers que chacun des personnages entrent en contact avec l’autre, qu’ils s’échangent, partagent des parties de leurs vies respectives, avant de se quitter, pour d’autres horizons.
Ce qui intéressera dans l’histoire de ces personnages, c’est plutôt leur fin de vie. Emprunte d’amertume pour certains, de regrets pour d’autres, mais aussi d’une certaine satisfaction, notamment pour Naima, malgré tous les malheurs qu’elle a pu connaître. On y découvre que le goût de la vie se résume au final à ce qu’il nous restera à sa fin et à ce qu’on retiendra. Aurions-nous dû prendre notre aise pour se faire plaisir ? Aurions-nous dû assurer nos arrières ? Aurions-nous dû participer à l’édification du pays, peu importe ce qu’auraient dit les autres ? D’innombrables questions telles que celles-ci que les personnages se posent, non sans vergogne, sans trop trouver de réponses, hormis les différentes leçons qu’ils ont pu tirer.
De la figure du conteur, le râwî
Au-delà du récit et de l’histoire, la prouesse littéraire de l’auteur impressionne également. Car, aux côtés des personnages et du narrateur, vient s’associer une cinquième voix. Celle du conteur. Celui-ci, avec la distance que lui confère son statut et son omniscience, parvient à narrer avec parcimonie les existences anodines aux premiers abords, mais tellement particulières, de ces trois personnages. Il y a là une tentative assez adroite de marier le récit traditionnel arabe, dont notamment les contes populaires, au récit moderne, fait de péripéties, d’événements et de personnages.