C’est au Festival Arabesques que nous avons rencontré Julien Jalâl Eddine Weiss, virtuose du quânun et fondateur du fascinant Ensemble Al-Kindî. Une rencontre émouvante pendant laquelle Julien se confie complètement sur son vécu et sa vulnérabilité.
La rencontre avec la musique arabe
Julien Weiss revient 40 ans en arrière et nous raconte cette fameuse soirée au Centre culturel égyptien à Paris durant laquelle, lui, le jeune guitariste classique de l’époque écoute pour la première fois le grand oudiste irakien Mounir Bachir. Les sonorités qui s’échappaient du tourne-disque eurent l’effet d’un réel coup de foudre. C’est ainsi qu’il se lança dans une quête infinie en étudiant la musique arabe traditionnelle afin d’en maîtriser les différents aspects.
Julien choisit alors le quânun pour explorer la finesse et les rythmes précieux de la musique arabe savante. Il désirait apprendre à jouer d’un instrument musicalement nouveau qui s’éloignait de la guitare et qui avait une originalité presque inconnue en Europe. En 1978, il décide de partir étudier la complexité de cet instrument auprès des plus grands maîtres. Au Caire tout d’abord, puis à Bagdad, à Tunis, à Téhéran et à Damas pour s’installer finalement pendant plusieurs années à Alep.
La genèse de l’Ensemble Al-Kindî
Enrichi par son enseignement, ses rencontres et ses voyages, Julien Jalâl Eddine crée l’Ensemble Al-Kindî en 1983 avec un groupe de musiciens talentueux qui maîtrisent à la perfection les différents répertoires de la musique arabe classique. « Je travaillais avec Hussein Al Massry, un oudiste égyptien, un percussionniste tunisien et en essayant d’intégrer du violoncelle, j’ai tout de suite compris qu’il ne fallait pas d’instruments européens. Ni bango ni guitares« , se remémore Julien Jalâl Eddine. Il se refuse dès lors à rajouter un quelconque artifice, de peur de dénaturer le concept de son groupe.
C’est avec émotion que Julien Jalâl Eddine évoque ses premières collaborations avec Mohammed Saada, grand flûtiste tunisien puis avec le joueur de nay syrien, Abdessalam Safar Safar. L’idée de départ était de fonder un ensemble instrumentaliste, mais très vite, le désir d’apporter une dimension vocale s’est imposée, notamment grâce à sa rencontre avec le mounchid (chanteur) de la mosquée de Damas, sheikh Hamza Shakur, en 1988. Travailler sur les chants traditionnels syriens l’a mené à Alep où il s’est intéressé à la musique mystique et a goûté à la grande profondeur du lyrisme soufi, il était donc tout à fait naturel d’introduire la grâce des derviches tourneurs syriens dans sa formation.
Approche scientifique et méthodologie de travail
Julien Jalâl Eddine est un virtuose qui a étudié très dur pour pouvoir cerner la finesse ainsi que les traditions musicales classiques du Proche et Moyen-Orient. Mais c’est également un incroyable directeur artistique, adepte de l’approche scientifique dans ses arrangements raffinés et multiples – le nom de son Ensemble est d’ailleurs un hommage à Abu Yusuf Al-Kindi, philosophe, astronome et mathématicien irakien mais surtout père de la théorie scientifique de la musique. « Ma méthodologie consiste à travailler sur la structure des maqams, des oussouls (sources des rythmes), ainsi que le répertoire de la littérature. Les gens ont mis longtemps à comprendre quel était mon rôle, ils pensaient que j’étais un petit accompagnateur derrière mais en fait je fédère les énergies. »
L’impact de la crise en Syrie sur l’Ensemble
Quand on s’aventure à évoquer les événements tragiques de la guerre civile en Syrie, Julien Jalâl Eddine s’effondre en racontant l’horreur, le danger ainsi que la peur qui règnent dans le pays et qui rythment malheureusement la vie quotidienne des artistes de l’Ensemble Al-Kindî . « Ils sont traumatisés. Ils ont tout perdu. Il y a ceux d’Alep, ils n’ont plus leur appartement, ils habitent chez de la famille, les derviches également n’ont plus rien. C’est une situation assez difficile. Pour eux c’est dramatique. Ils ont tout rasés, ils leur ont tout pris. »