Le musée MACAM, au Liban, propose une remarquable première exposition rétrospective du travail de plasticienne de la cinéaste Jocelyne Saab. Un travail photographique et vidéographique important qui s’étend sur plus de dix ans, à (re)découvrir au Liban jusqu’au 18 septembre.
Jocelyne Saab, pionnière du cinéma libanais, a commencé à tourner des documentaires au début des années 1970 dans toute la région moyen-orientale, avant de se recentrer sur le Liban qu’elle filme, déchiré par la guerre. Ses films ont beaucoup de succès à la télévision et c’est une femme qui dérange. Elle est menacée de toute part mais continue le combat, sur tous les fronts. Elle part en Égypte, en Iran, dans le Sahara occidental, au Vietnam. Elle se bat pour toutes les causes.
Après la réalisation d’une trentaine de documentaires, elle se tourne vers la fiction qui lui permet de mettre à distance la réalité. Elle tourne quatre long-métrages au court de sa carrière, avant de se consacrer à l’art contemporain : Une Vie suspendue en 1985, Il était une fois Beyrouth : histoire d’une star en 1994, Dunia en 2005 qui critique la pratique de l’excision en Égypte, et What’s going on ? en 2009.
Elle réalise désormais des séries de photographies et des vidéos, comme pour « regarder les images de plus près ». Cette œuvre tardive est toutefois moins connue, méritant néanmoins tout autant que ses films d’être étudiée en profondeur.
Le travail de Jocelyne Saab est de plus en plus exposé ces dernières années. Alors qu’elle inaugurait en juin 2017 sa dernière exposition consacrée aux réfugiés syriens, One dollar a day, à Beyrouth, au moment de la remise de son titre de Chevalier des Arts et des Lettres par l’ambassadeur français, les projections rétrospectives de ses films se sont multipliées. Sa Trilogie de Beyrouth a été projetée à l’université de Birkberck à Londres dans le cadre de l’Essay Film Festival. Ses premières fictions ont été à l’honneur du dernier festival « Un État du monde » au Forum des Images à Paris, plusieurs de ses films ont été montrés au festival Yamagata au Japon en octobre 2017, une rétrospective a été organisée à la Cinémathèque de Francfort en avril 2018 par le Filmkollektiv Frankfurt, et ses films sont encore régulièrement montrés dans des festivals à travers le monde.
Cet été, une exposition présentée au Modern and Contemporary Art Museum (MACAM) d’Alita au Liban est consacrée à son travail de plasticienne, sous le titre « Jocelyne Saab, à contre-courant ». La commissaire de cette exposition, Mathilde Rouxel, connaît bien l’œuvre de l’artiste, puisqu’elle lui a consacré un livre monographique, Jocelyne Saab, la mémoire indomptée, sorti en 2015. La collaboration avec le musée s’est donc révélée fructueuse. Le travail de recherche et de pédagogie a été richement mené et l’exposition offre de nombreuses clés de lecture sur le travail de Jocelyne Saab, dans le contexte élargi de sa carrière de journaliste et de cinéaste, tout en mettant pleinement en valeur les qualités méconnues, de son travail de plasticienne.
Dans le livret de l’exposition, on apprend que Jocelyne Saab cherche à travailler avec de nouveaux médias depuis 2005, après le chamboulement médiatique qui a suivi la sortie de son film Dunia, triomphant à l’étranger mais censuré en Égypte où elle l’avait tourné. Elle commence d’abord par se consacrer à la photographie. Elle réalise des séries de mises en scène critiquant, à l’aide de Barbies, l’hypocrite rapport des sociétés arabes à l’Occident. Considérée elle-même comme une poupée alors qu’elle réalisait le grand film égyptien de sa vie, ce même Dunia, elle décide d’exorciser son malaise vis-à-vis de son expérience par la photographie. Elle part ensuite dans le désert et trouve dans les mouvements des tentes des bédouins dansant dans le vent des lignes érotiques qu’elle immortalise. Ces séries sont exposées pour la première fois en 2007.
Entre-temps, des musées ou des institutions, tel le MUCEM à Marseille ou l’université Bogazici à Istanbul en Turquie lui passent des commandes de vidéo d’art. Elle réalise pour le MUCEM en 2013 la série Café du Genre qui questionne les enjeux du genre, du féminin, du corps et de la liberté dans la région méditerranéenne, à travers six artistes et personnalités de différents pays. L’ensemble est à la croisée du documentaire et de la vidéo d’art, alliant information et mise en scène esthétique.
Pour la Turquie, elle réalise en 2015 une vidéo ayant pour personnage principal le pont des Martyrs du 15 juillet qui traverse le Bosphore à Istanbul. Elle y parle de la fragilité de la vie. Cette fragilité, elle la voit aussi parmi les réfugiés syriens qui peuplent les montagnes de la Békaa libanaise et qu’elle filme dans le pendant vidéo de son exposition de photographie One dollar a day. Une vidéo de six minutes qui questionne au son d’une musique pesante la dichotomie entre le luxe que s’offrent les beyrouthins du centre-ville et la misère dans laquelle vivent des centaines de milliers de personnes en périphérie des villes, cachés des regards. Dans l’exposition, la musique de ce court-métrage couvre l’ensemble de la visite. Au son de ces mélodies expérimentales qui hantent l’espace, le spectateur parcourt l’ensemble de ces œuvres et se trouve nez à nez avec l’icône immense d’un enfant illuminé d’or qui l’interpelle sur la valeur des choses et de l’humain.
L’espace du musée MACAM offre la possibilité d’un parcours intéressant à travers ces dix ans de création plastique surgissant dans l’univers muséal comme une nouvelle facette d’une œuvre qui est en train de s’inscrire durablement dans la postérité et dans l’histoire de la création au Liban.
Article par Heinrick Tartin