Née à Jérusalem, l’artiste palestinienne Larissa Sansour détourne les codes de la science-fiction pour changer la perspective sur le conflit israélo-palestinien. Présente en mai dernier à la fondation Dar El Nimer de Beyrouth, elle y a exposé Sci-Fi Trilogy, une odyssée de l’espace palestinienne en trois volets.
Le futur, par son pouvoir d’anticipation, permet une réflexion sur les conséquences de nos actes sur l’avenir, un retour salutaire sur les dysfonctionnements de la société actuelle, à l’instar de The Handmaid ‘s Tale, Black Mirror ou encore 1984 d’Orson Welles. En offrant un espace temps encore inexploré, il fournit ainsi la terre promise idéale pour la futurologie de la cause palestinienne. Nous sommes allés explorer ce retour vers le futur palestinien avec l’artiste Larissa Sansour.
La cause palestinienne et les problèmes du Moyen-Orient ont toujours été au cœur de ton travail. Être née dans cette région du monde a t’il influencé ton travail?
Je suis intéressée par l’art depuis très jeune, et ma pratique artistique a longuement précédé mon engagement envers la cause Palestienne. C’est en 2000, lors de la seconde intifada, que mon travail s’est concentré sur la situation en Palestine. Mais je pense que ce conflit est un problème universel qui illustre la manière dont les pouvoirs politiques ont été redistribués après la fin de la seconde guerre mondiale.
Tu utilises beaucoup le futur et la dystopie dans tes œuvres. Qu’est-ce qui t’intéresse autant dans l’exploration du futur?
Il est difficile de parler de futur, sans se connecter à son présent et son passé, même de manière inconsciente. En réfléchissant aux problèmes du futur, on accentue ce qui s’est passé avant. L’expérience palestinienne semble suspendue entre son passé son futur, entre nostalgie et ambition. La science-fiction est un territoire très inspirant, car il s’agit d’une discipline agissant à la fois comme réminiscence tout en accélérant une dystopie qui s’approche.
Dans ton installation A space exodus (une exode de l’espace) et les Palestinautes, il est aussi question de conquête spatiale. Pourquoi avoir décidé d’ envoyer les palestiniens sur la lune?
Une exode de l’espace et les palestinautes traitent des aspects centraux du malheur palestinien: le déplacement, la mobilité et le colonialisme. L’astronaute du film est envoyé en orbite, en recherché d’une nouvelle terre d’accueil: la lune. En même temps, la conquête de l’espace incarne les ambitions d’un peuple qui peut être interprétée comme celles des palestiniens, tout en faisant un clin d’œil humoristique à un moment fort de l’histoire américaine avec l’atterrissage sur la lune de Neil Armstrong en 1969.
L’ironie et l’humour sont prédominants dans tes œuvres, bien que la cause palestinienne semble plutôt désespérée. Pourquoi?
Dans la plupart de mes films, l’humour est souvent un catalyseur pour corriger des aspects de la réalité palestinienne souvent délaissés par les documentaires, comme avec A space exodus ou Nation Estate. Je me réapproprie des éléments de la culture populaire comme les séries ou les western spaghettis pour négocier avec des attentes plus politiquement engagées. Mais récemment, le ton de mes films est devenu plus sombre et menaçant, à l’instar de In the Future They Ate From the Finest Porcelain.
Nation Estate, une œuvre photographique qui imagine la Palestine comme un gratte-ciel dont chaque étage correspond à une ville.
Le Barbican Art Center à Londres a d’ailleurs été accusé par des associations juives de promouvoir une propagande anti-Sémite dans le cadre du conflit israélo-palestinien, en diffusant votre travail In the future they ate from the finest porcelain. Qu’est-ce que vous répondez à ces accusations?
Je tiens à préciser que les membres du conseil d’administration de British Jews, le corps derrière ces accusations, n’ont pas vu le film et n’ont pas essayé d’obtenir une copie avant d’exiger son retrait de l’exposition au centre Barbican. Aussi, ce n’est pas la première fois que je fais l’objet d’un boycott politique. J’ai répondu à ces accusations sur les réseaux sociaux en déclarant que bien que le film évite toute référence directe à Israël, je m’oppose fortement à l’occupation. Mais j’aurais espéré que nous avions dépassé les jours où critiquer la politique israélienne faisait l’objet d’accusations automatiques d’anti-sémitisme.
Concernant les événements récents à Gaza et les nombreuses morts, comment vois-tu le future des palestiniens?
Je participais au premier pavillon palestinien du festival de Cannes quand nous avons appris les tragiques événements à Gaza. En dépit du choc de la nouvelle, j’ai été touchée par le sentiment d’unité au sein des palestiniens présents durant festival, mais aussi par les démonstrations de sympathie que nous avons reçu de la part des participants internationaux qui sont venus au au pavillon pour nous manifester leurs respect et protester. Bien que nous vivons dans des temps difficiles, je sens une montée croissante du soutien de la cause palestinienne et cela me donne de l’espoir.