Depuis septembre dernier, l’atelier des artistes en exil a ouvert ses portes au public dans le 18ème arrondissement de Paris. Une surface de 1000 m2 dédiée à des artistes d’origine et disciplines variées, ayant fui les inégalités, la guerre ou l’oppression d’un régime totalitaire. Certains d’entre eux seront au programme de la soirée de clôture du festival La Voix est Libre samedi au FGO Barbara. Une soirée pour célébrer la vie, la liberté et la créativité.
Un atelier pour accompagner les artistes réfugiés
Depuis mars 2017, la première association destinée aux artistes en exil (aa-e) s’est établie au 102 rue des Poissonniers à Paris, au sein d’anciens bâtiments administratifs mis à disposition par Emmaüs. Grâce à la solidarité citoyenne, cet espace accueille aujourd’hui plus de 150 artistes d’origines diverses, allant de la Syrie à la Palestine, en passant par l’Afghanistan, l’Azerbaïdjan, le Soudan ou le Kazakhstan.
En plus d’offrir un espace de création et d’expression libre à ces artistes, le lieu leu propose aussi une assistance administrative dans les démarches sociales à travers une permanence juridique, ainsi que des cours de français, des ateliers de pratique artistique et des programmations culturelles comme la création du festival Vision d’Exil à la Porte dorée en novembre dernier. Tout le mois de juin, les habitants et commerçants du quartier sont même invités à héberger des représentations et expositions d’artistes en exil, afin de favoriser le dialogue et l’échange entre la communauté locale et les artistes.
Ce samedi, certains musiciens de l’atelier seront présents lors du concert de clôture du célèbre festival La voix est libre. Parmi eux: le duo Kazakh Nassima et Azamat accompagnés du pianiste libanais Elie Maalouf, le flûtiste Ghandi Adam et son Lamma Orchestra, et le syrien électro chaabi Wael Alkak.
Nassima et Azamat : le son de la culture Ouighour
Originaire du Kazakhstan et arrivé en France il y a trois ans, ce couple à la vie comme à la scène présente la musique folklorique traditionnelle de leur ethnie: les Ouïghours. Ce peuple turcophone et musulman sunnite, présent en Asie Centrale et dans le nord de la Chine, fait l’objet d’une politique de répression accrue depuis quelques années, renforcée par le prétexte de la menace djihadiste. Face à l’annihilation progressive de leur culture, l’art est devenu le dernier moyen de résistance restant à cette minorité pour faire subsister son patrimoine.
Etre ouïghour est notre condamnation depuis toujours, le simple fait de parler notre langue est un acte politique et faire de la musique est primordial pour la sauvegarde de notre héritage.
Baignés dans la musique depuis le plus jeune âge, Nassima est issue d’une famille de musiciens, sa mère était chanteuse et joueuse de rubab (instrument à corde traditionnel d’Afghanistan ou du Pakistan ressemblant à un luth), la mère d’Azamat était cheffe de chœur et ce dernier fut un temps Dj durant son adolescence avant de devenir ingénieur du son. Les deux partenaires se sont rencontrés lors d’un concert. Depuis, le duo propose une formation musicale fusionnant sonorités traditionnelles et contemporaines, à travers des textes qui louent l’amour, la beauté de la nature, et l’amour de la patrie. Un hommage vital pour faire survivre la richesse culturelle de leur communauté qui a souvent du mal à se faire entendre en dehors du cadre Ouïghour «La musique ouïghour est très riche, elle possède 12 gammes de tons et chacune région possède la sienne propre avec son caractère et son histoire. »
Quand on parle de rêves artistiques, superstitieuse, Nassima préfère ne pas répondre « les rêves ne se racontent pas sans quoi ils ne peuvent se réaliser, mais nous espérons démocratiser et développer la musique ouïghour pour qu’un jour les gens la connaissent et la reconnaissent. »
L’électro Chaabi pyschédélique de Wael Alkak
Après avoir étudié la musique traditionnelle au conservatoire national de Damas, Wael Alkak quitte la Syrie pour le Liban en 2010, alors à l’aube des printemps arabes. Au même moment, les premières révolutions éclatent en Syrie et inspirent à l’artiste son premier album : des enregistrements de démonstrations pacifiques, qu’il réarrange à la manière électronique. Un opus qu’il continuera d’explorer entre la Jordanie et la Turquie, avant de l’achever en France où il dépose ses valises en 2012. Ce projet unique et novateur lui ouvre la résidence de la cité internationale des arts où il restera pendant deux ans.
Là-bas, il s’enferme en studio pour essayer de faire oublier l’étiquette politique et engagée que son premier travail lui avait collée à la peau.
Même si je soutiens toutes les révolutions et les gens qui veulent être libre, j’essaie d’être le moins politique possible et ce qui m’intéresse c’est de faire de la musique avant tout.
Il débute alors son nouveau projet Neshama avec l’album « min zaman » (il y a longtemps) qu’il compose avec 8 musiciens issus de divers continents.
Si sa musique aujourd’hui s’est éloignée du chemin classique de sa formation – il jouait de l’accordéon et de l’orgue quand il avait 4 ans – elle garde un aspect acoustique et brut malgré sa composition digitale. Un son qui reflète ses goûts musicaux éclectiques, allant de la musique populaire arabe, à la funk et au jazz, en passant par l’électro ou les Pink Floyd. Il mixe désormais musique académique et percussions aux sonorités électroniques, avec une grande part accordée à l’improvisation « Ma musique est une musique de liberté et l’électronique est beaucoup sur ça».
Un festival libre pour un spectacle vivant
Depuis 15 ans, l’association l’Onde & Cybèle organise des festivals qui explorent « les chemins de traverse » et invitent au dialogue, au delà des murs posés par la religion, la société ou la nationalité. En transgressant les modes de production et de diffusion classique, elle a su imposer une nouvelle forme de spectacle vivant : plus métissée et ouverte à la transdisciplinarité. Elle a ainsi permis la création d’œuvres originales, à travers des explorations artistiques à la croisée de territoires éloignés. De Paris à Beyrouth en passant par Tunis, Toulouse, Calais, Marseille, Le Caire ou Alexandrie, les dizaines de créations qui ont vu le jour au festival La Voix est Libre, comprennent des artistes de pays et d’horizons variés (jazz, hip-hop, chant lyrique, danse contemporaine, cirque, musiques traditionnelles, vidéo), offrant un espace de liberté qui donne tout son sens au spectacle vivant.